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Avec accusé de déception
4 octobre 2018

Les Guérin, quelle famille ! (Anne : “Tu es beau quand on lit l’amour sur ton visage”)

 “Je recherchais des moyens de répandre la lumière jusque dans les coins les plus reculés

Jiri Mucha, “Alphonse Maria Mucha, his life and art”, Londres 1966

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Ce n’est pas pour faire mon malin, mais Anne Guérin est morte il y a un an, le 30 septembre 2017, à Montrouge. Peu connue du grand public, elle était pourtant une grande figure du journalisme et du militantisme liberal, dans l’acception anglo-saxonne du terme.

Il faut dire qu’elle avait de qui tenir. Anne naquit à Paris en 1936 d’un père, Daniel, socialiste libertaire mais pas que… dont nous reparlerons dans le prochain post, et d’une mère, Maria Fortwangler, communiste autrichienne et secrétaire trilingue, que Daniel avaient rencontrée au pays de Dollfuss, en 1932, où il se préparait à écrire « la Peste brune ». Notre fils de bonne famille l’exfiltra loin des nazis vers Paris, où ils se marièrent en 1934. Vaccinée par lui du stalinisme, Marie Guérin adhérerait au début des années 1970 à l’Organisation révolutionnaire anarchiste (ORA), militant peu car étant amputée deux fois des deux jambes, gangrène oblige…

Anne vécut l’Occupation dans un confort relatif à Monfort-l’Amaury et apprit à nager sur les rives du lac d’Annecy, où ses parents l’avaient expédiée avant la tumultueuse libération de Paris. Puisque l’après-guerre rimait avec privations, ils l’envoyèrent aux États-Unis, auprès de sa grand-mère maternelle, psychanalyste à New York. Élève à Swarthmore College, fondé en 1894 par les Quakers puis devenu sans lien religieux au début du XXe siècle, Anne s’initia à l’athéisme serein, comme l’écrit si bien dans « le Monde » du 20 octobre dernier, Philippe-Jean Catinchi. Elle participa alors à une mission que l’on n’appelait pas encore humanitaire auprès d’Indiens au Mexique, où elle apprit sur le terrain « l’égale dignité de tous les humains ».

Son éducation alternative, Anne, qui croiserait son père, séparé de Marie, aux States où il préparait son essai « Où va le peuple américain ? » (1950-1951), la perfectionna notamment dans la propriété familiale de La Ciotat, où Daniel jouait les mécènes pour des artistes et intellectuels un brin marginalisés.

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Elle fit ses premiers pas de journaliste à « l’Express » et fut la plus jeune signataire du Manifeste des 121 (septembre 1960), qui déclarait « le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie », laquelle ne s’appelait évidemment pas ainsi. Son patron, Jean-Jacques Servan-Schreiber, tenta de lui remonter les bretelles car elle ne l’avait pas prévenu, mais que pouvait-il face à cette éternelle insoumise ?

Dans l’Algérie rouge de la post-indépendance, elle travailla, dès 1964, à la revue « Révolution africaine », avant de s’envoler, trois ans plus tard, pour Tunis et rejoindre le périodique « Faïza ». Entre-temps, elle traduisit de l’anglais « Eichmann à Jérusalem » de Hannah Arendt, et l’autobiographie de Malcolm X. Excusez du peu !

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Après avoir couvert de la plume mais aussi de l’objectif Mai 68 – on lui doit de magnifiques clichés des affiches d’alors –, Anne repartit pour Tunis, où elle obtint un doctorat de sociologie avant d’épouser, en décembre 1969, l’économiste marxiste Ahmed Henni. Dont elle aurait deux fils, Jamal et Faïz-Adrien.

Auteure de seulement deux ouvrages, Anne fut, comme son père, plus proche du terrain que des belles théories. Lanceuse d’alerte, comme on ne disait pas encore, elle écrivit « les Pollueurs », fruit d’une longue enquête auprès des victimes (ouvriers, riverains d’usine, paysans…) du capitalisme industriel. Bientôt viendraient les boues rouges, l’amiante…

… le sang contaminé et le sida. Après avoir collaboré avec l’équipe de l’anthropologue Bernard Paillard au CNRS, elle s’engagea à Act Up. Puis à l’Observatoire internationale des prisons. Toujours cette empathie pour les réprouvés, les exclus, les colonisés, loin des appareils auxquels son père l’avait rendue allergique.

Sur le site 2K17, elle déclara à la journaliste Juliette Harau, en février 2017 : « J’ai bataillé douze ans à Act up-Paris, à partir de 1992. Ça a été mon premier contact avec la mort, parce que j’y côtoyais des malades du sida, promis à une fin assez proche. Ça m’a amenée à réfléchir à la mort. Je ne l’avais pas beaucoup fait avant. L’association a eu le mérite de permettre à des patients de revendiquer une certaine fierté et de s’organiser, voire de tenir tête aux médecins sur certains aspects de la politique médicale qui les concernaient. »

Un de ses derniers combats fut le droit au suicide assisté : « Je devais avoir une quarantaine d’années quand j’ai adhéré à l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD). Au départ, c’était pour le principe. Après tout, la mort concerne tout le monde. […] À cette époque-là, et même encore aujourd’hui, le spectacle des personnes très âgées, plus ou moins décaties et gâteuses, m’horripillait quelque peu.

» Mon père, qui était pourtant un militant du suicide assisté lui aussi, n’a pas songé à s’organiser. Quand il a commencé à décliner, il n’a rien fait dans ce sens. Ça m’a marquée, parce qu’il n’en finissait pas de mourir. J’aurais préféré qu’il meure plus vite, ça aurait été mieux pour lui et pour tout le monde. Mais ce n’est pas le genre de choses qu’on peut dire. […] Il voulait toujours mourir de la façon la moins douloureuse et la plus expéditive possible, mais de là à passer aux actes… Il est mort comme tout le monde, sans aucune aide d’aucun ordre.

» Sur des décennies, sans même y réfléchir, j’ai fait un travail sur la question : la mort en général et aussi la mienne. J’ai imposé à mes enfants qu’on évoque ce sujet comme on parle d’autre chose. Pour moi, ce n’est pas tabou, j’ai choqué pas mal de gens avec ça, d’ailleurs. Je ne dirais pas que la mort est un sujet comme un autre, mais c’est quelque chose d’abordable. J’ai même constaté, chez certains médecins, une amorce de prise de conscience et d’humilité devant la souffrance des gens. Certains m’ont dit que ma décision leur paraissait légitime et raisonnable. Pas tous. […] Ce qui me manquait le plus, c’était de trouver quelqu’un qui me tiendrait la main à la fin.

» […] Mes fils me disent : «On veut bien que tu te suicides, mais pour des raisons qui nous semblent rationnelles, pas sur un coup de tête». Mais ils ont leurs critères, j’ai les miens, ça ne coïncide pas forcément.

» J’ai envisagé d’aller en Suisse (où le suicide assisté est légal), mais c’est horriblement cher, ça dépasse le millier d’euros. En revanche, côté pratique, j’ai la chance de connaître quelqu’un qui a pu m’indiquer les médicaments à me procurer et les dosages. Pour les trouver, je suis allée dans plusieurs pharmacies, sans succès, ce qui est assez décourageant. Je suis finalement tombée sur une pharmacie où on ne m’a posé aucune question. Depuis, les médicaments sont chez moi, au fond d’un tiroir. […] Seulement, ce qui me manquait le plus, c’était de trouver une personne qui accepterait de m’aider. Faire ça toute seule, quand on est trouillarde comme je le suis, ce n’est pas facile. Mais cet ami m’a dit que je pouvais compter sur lui. Que le moment venu, il me répéterait comment prendre les médicaments, à quel rythme. Et il sera là pour me tenir la main à la fin.

» Dans l’état actuel des choses, en France, c’est risqué pour celui qui assiste un malade qui se suicide. Si le suicide assisté était reconnu, ça aiderait les accompagnants. Certains veulent bien vous aider à mourir mais ils n’osent pas, à cause de la peur d’aller en prison [la provocation au suicide d’autrui est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende]. Pour la personne qui veut en finir aussi, les choses seraient plus simples, notamment les détails pratiques (quels médicaments prendre, où les trouver). Ça éviterait des suicides en cachette. Et douloureux, quand on ne sait pas comment s’y prendre, ou les suicides ratés, avec des séquelles qui peuvent être épouvantables.

» Il y a des pays où le suicide assisté ou l’euthanasie se pratiquent. Ils sont très encadrés et réglementés, et ça a l’air de ne pas se passer si mal. Je ne pense pas que ça rendrait les suicides plus fréquents, mais au moins, on le ferait avec plus de sérénité qu’aujourd’hui. »

Pour une femme debout, la déchéance est plus qu’un naufrage individuel…

« Je perds un peu la mémoire. Côté lombaires, ce n’est pas ça non plus. J’ai de l’arthrose, qui me fait marcher avec une béquille. Je souffre d’une BPCO, une bronchopneumopathie chronique obstructive, qui me provoque des difficultés respiratoires. Depuis septembre [2016], je sais aussi que j’ai un cancer des poumons. Mais ça ne m’inquiète pas trop. On m’a dit que la maladie évoluerait lentement, donc je mourrai de la BPCO avant… Pour la petite histoire, je suis aussi anémique.

» Je n’ai pas envie de souffrir, de traîner pendant des mois des douleurs insupportables. Elles le seraient aussi pour mon entourage, pour mes fils. […] Mes enfants sont les personnes que j’aime le plus au monde. »

Sous la très sensible plume de Philippe-Jean Catinchi, on peut lire :

« Au dernier jour de sa vie, elle disait à son fils qui la trouvait belle :

“Tu es beau quand on lit l’amour sur ton visage.” »

Anne était donc la fille de Daniel, militant socialiste libertaire au curriculum politique long comme un jour sans pain. Daniel compartimentait sa vie. Il était et assumait depuis toujours son homosexualité… Et militait pour l’émancipation des « comme ils disent » mais hors ghetto…

 

 

Bonus...

Suicide assisté : "Si c'était légalisé, on le ferait avec plus de sérénité qu'aujourd'hui" - 2K17

" Ce n'est pas une question de mort, c'est un choix de vie... J'ai peur de m'emmerder. (rires) Quand je vois les mouroirs que sont les maisons de retraite, où les gens regardent dans le vide, ne font rien de la journée, ça ne me donne pas envie.

https://2k17.fr

 

 

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