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Avec accusé de déception
29 juin 2020

Finouche au regard noyé de tendresse (Petit hommage au mélancomique Guy Bedos)

La Méditerranée, où l’intelligence est sœur de la dure lumière

Albert Camus 

capture 2020-06-28 à 17

Ce n’est pas pour faire mon malin, mais quand mon cher historien et géographe Marc Ferro débarque, avec son épouse, Vonnie, en 1948, à Oran, il écrit : « Là-bas, tout de suite, on a senti qu’il y avait des problèmes. On voyait se disputer les transporteurs et les petits Arabes avec leurs charrettes. Nous, avec nos idées de gauche, avons pris une charrette, évidemment.  » Arrivés au lycée Lamoricière, « l’homme jette mon bagages, crache par terre et nous dit : “Ici il n’y a que des juifs et des Espagnols…” Nous avons vite compris qu’il se passait quelque chose dans ce pays. »

En 1948, Guy Bedos a 14 ans. Il est né à Alger sous de mauvais augures. Quand sa mère ne frappe pas son mari handicapé à coups de marteau, elle accouche d’un chérubin « laid comme un petit juif ». Au côté de cette mère pétainiste, le petit Guy est éduqué par un beau-père raciste auquel il s’affronte physiquement. 

« Le premier gouvernement que j’ai eu à subir, c’est ma mère et mon beau-père. Ma constance dans la rébellion vient de là. »

Heureusement, dans cette Algérie, département français, il y a l’école républicaine et Finouche. Institutrice, elle lui enseigne le respect de l’autre, fût-il arabe. 

« Les juifs et les Arabes qui s’entretuent, ça fera toujours ça de moins », ironisera Guy.

capture 2020-06-28 à 17

Premier collègue de théâtre : Jean-Paul Belmondo. Une manière d’anarchiste sans conscience politique. Un peu comme sa Sophie Daumier, qui ne respectait aucune hiérarchie.

Autre point commun avec Bébel, son peu d’enthousiasme pour la guerre d’Algérie. Belmondo est pied-noir d’origine sicilienne par son sculpteur de père. Réformé, Guy ne se voyait pas tuer ses camarades de classe. Petits Arabes, ils n’avaient pas le droit d’aller chez lui, où on ne cuisinait jamais le couscous d’ailleurs.

Et puis, en « métropole », de belles rencontres, Jacques Brel, Boris Vian, Jean-Pierre Marielle, Claude Brasseur, Jean Rochefort, Victor Lanoux, Georges Moustaki, Barbara (avec qui il ne pouvait point petit-déjeuner tant elle lui foutait le cafard), Pierre Prévert, Simone (la Signoret, un repère moral), Gisèle Halimi (la marraine de son fils Nicolas), Pierre Desproges, James Baldwin, Michel Boujenah, Matthieu Chédid, Charles Aznavour, sa très chère « fiancée », Françoise Dorléac, morte dans les circonstances atroces qu’on sait… On connaît aréopage plus nul !

Censuré sous Giscard, qui n’apprécie guère sa revue de presse, Guy Bedos est quand même invité au « Grand Échiquier » de Jacques Chancel, où il fait connaître à ma génération son ami Higelin. 

Partenaire bienveillant et taciturne d’Annie Duperey ou de Muriel Robin, infatigable combattant du racisme, tel était le Dr Simon d’« Un éléphant ça trompe énormément », d’Yves Robert. Affublé d’une mère un brin possessive, Marthe Villalonga, un pied-noir non repentie, mais qui n’a que trois ans de plus que lui – c’est jeune pour faire un enfant ! –, le Simooooon nous a quittés quatre jours après son frère d’écriture, Jean-Loup Dabadie. 

Vers la fin de sa vie, sa mère fasciste avait une aide-soignante antillaise. Elle lui jetait des objets à terre : « Ramasse ! »  Mais il en était fini de l’Algérie française.

[La_résistible_ascension_d'Arturo_Ui_[

L’interprète génial d’ « Arturo Ui », de Berthold Brecht, a écrit : « Ma carrière d’humoriste est un succès, ma vie de citoyen utopiste, un échec. »

Que la terre de Corse, votre Algérie de substitution – Algérie où vous étiez très populaire –, vous soit douce.

Et que grâce soit rendue à des institutrices comme Finouche au regard noyé de tendresse et d’intelligence bienveillante qui ont fait reculer les barrières de la sauvagerie raciste. Laquelle s’illustre à merveille aux États-Unis, par exemple, en ce moment !

Guy Bedos est parti dormir le 28 mai, heureusement qu’il nous reste le fin politologue Jean-Marie Bigard…

 

Bonus

 

À écouter, lue par Augustin Trapenard, la lettre que son fils, Nicolas, adresse à son père :

"Je sens que tu n'es pas loin... Tu n'es pas mort, tu dors enfin..." - Nicolas Bedos

Nicolas Bedos est comédien, scénariste et réalisateur. Dans cette lettre, il dit adieu à son père, Guy Bedos, disparu le jeudi 28 mai 2020. Paris, le 31 mai 2020, Papa, Une dernière nuit près de toi. Des bougies, un peu de whisky, ta main si fine et féminine qui serre la mienne jusqu'au p'tit jour du dernier jour.

https://www.franceinter.fr


Une petite compilation :



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