Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Avec accusé de déception
2 décembre 2020

Éloge de l’infidélité (Tribute to Maurice Goldring)

Étudie, non pas pour savoir plus, mais pour savoir mieux

Sénèque

Ce n’est pas pour faire mon malin, mais nous avons tous eu des professeurs qui nous ont sortis de l’ornière. Parmi eux, j’eus la chance de croiser le fer mais aussi la bienveillance de Maurice Goldring. Il nous a quittés le 30 octobre dernier à l’âge de 87 ans. Mort à Biarritz, dont il dérangeait la tranquillité politicienne, luttant sans détours contre les cryptopartisans de l’ETA, organisation relevant plus du banditisme que de la politique. 

AVT_Maurice-Goldring_2035

Maurice Goldring fut mon prof de civilisation britannique et d’histoire de l’Irlande.

Avant, il avait brillé dans de nombreux lycées parisiens, dont Saint-Louis, comme enseignant d’anglais.

J’avais lu ses éditos dans « France nouvelle », hebdo du PCF (1943, à Alger – 1979 en région parisienne). Je retiendrai toujours cette phrase :

« Quand on adhère à un mouvement, on doit en assumer toute l’histoire. »

Ancien membre des instances nationales du PCF (de 1950 à 1981), il apparut sur le plateau d’« Apostrophes » pour présenter l’ouvrage collectif « Sous le marteau la plume » avec Yvonne Guillès. Il fit partie du wagon des « hors du parti » avec Henri Fiszbin, élu parisien, et mon cher Michel Cardoze au début des années 1980. Merci Georges Marchais.

9782866100032-fr I00012996

Entre-temps, Maurice Goldring s’était échappé de cet univers nauséabond en allant professer aux States, expérience dont il tira « Survivre à New York ». 

Éloge de l’infidélité ? Anthropologue de la Goutte-d’Or, il avait les mains dans le cambouis. Ainsi passa-t-il du PC au PS en transitant par « Rencontres communistes » avant de rejoindre les macronistes, but nobody is perfect. Il a pourtant écrit cette belle phrase :

« Je n’aime pas qu’on veuille rendre le malheur héréditaire. »

À Paris-VIII, je m’étais un peu fait allumer par monsieur Goldring après une rédaction dans le cadre de son UV comparant le révérend Ian Paisley, le leader fondamentaliste protestant nord-irlandais qui reconnaissait les catholiques à leur odeur et leurs oreilles, à Jean-Marie Le Pen, qu’on ne présente plus mais qui déteste les nez crochus et les doigts itou. J’avais eu l’outrecuidance de rappeler que le populisme d’un PCF détruisant à Vitry-sur-Seine et à coups de bulldozer un foyer Sonacotra, en décembre 1980 – geste aujourd’hui salué par « Valeurs actuelles » ! –, avait ouvert la voie au néofascisme nostalgique de l’OAS. Malgré son désaccord, j’obtins une bonne note. 

Maurice Goldring m’apprit la tolérance, le respect, la nuance.

À la même époque et université, l’historien brésilien Felipe de Alencastro, spécialiste de la question noire et des relations avec l’Angola, me vaccinait contre le tiers-mondisme : les patrons de São Paulo vivent mieux que leurs homologues du CAC 40.

Pour ce modeste post, je relus « Démocratie, croissance zéro », publié en 1978. Il porte sur la Trilatérale, organisme oublié qui, dès 1973, regroupa des gentlemen comme Jimmy Carter, futur président, David Rockefeller, Gioanavi Agnelli de Fiat, Raymond Barre, bientôt Premier ministre, Edmond de Rothschild, président de la Compagnie financière Holding… 

1049837594

Bilan de leurs travaux, en 1975, et surpervisé par Michel Crozier, Samuel Huntington, Joji Watanuki : « Il y a des limites potentielles souhaitables à l’extension de la démocratie. » Laquelle rend tout gouvernement impossible. Mis à part « le Monde diplomatique » de Claude Julien et « France nouvelle », la presse française demeura bien silencieuse quant au contenu sensationnel de « Crisis of Democracy ».

Or, dans la France giscardienne, Maurice Goldring défendit toujours le pluralisme de la presse, qui avait du plomb dans l’aile : « Distinguer le fait du commentaire, comme le demande Giscard d’Estaing, est une aberration. Le fait est toujours un fait “choisi”, et ce choix est déjà un commentaire. »

Bouleversé par le martyre de Bobby Sands, je voyais, échevelé et écervelé, l’IRA comme une branche progressiste quasi tiers-mondiste : « Beaucoup d’Irlandais ont combattu au côté de Franco, en Espagne, car ils étaient catholiques. » Punaise, un coup dans mes convictions ! À Derry, en 1972, le député qui a vécu le Bloody Sunday était protestant et non catholique. En démocratie, même imparfaite, la violence terroriste est inacceptable. Il est aussi des prolos des deux confessions. L’IRA a brisé un élan d’émancipation inspiré des « civil rights » pacifiques afro-américains. 

Souvent interpellé lors de ses cours par des anars défendant l’IRA et sa branche politique, le Sinn Féin, Maurice Goldring demeurait marmoréen. Pourquoi les couples mixtes catholiques-protestants sont-ils possibles en Angleterre et non en Irlande du Nord ? Pourquoi quand on joue au foot ou au rugby dans la même équipe, catholiques et protestants ne peuvent-ils pas prendre une pinte dans le même pub après le match ?

Je le revois roulant sa cigarette avant d’avaler, claudiquant, un énième café entre deux cours, rêvant de chocolat, d’une soirée entre amis devant un bon film et envisageant d’étudier la question belge, Wallons contre Flamands. 

Né à Lille, Maurice Goldring, juif athée et espiègle, fréquentait parfois les pubs d’Irlande du Nord, reconnaissance du terrain oblige. Un soir, il se fit questionner par un compagnon de comptoir : « D’accord, tu es athée, mais athée protestant ou athée catholique ? »

So God bless you, Mister Goldring…

 

Bourvil, « Bonjour le maître d’école »

1964, Bourvil chante "Bonjour le maître d'école"

Plus d'une semaine après l'assassinat de Samuel Paty par un terroriste islamiste, l'émotion est forte en France et plus particulièrement dans le milieu enseignant. Le professeur, le maître d'école, une profession au coeur de la vie du pays à laquelle rendait hommage Bourvil, en 1964.

https://www.ina.fr



Publicité
Publicité
Commentaires
Avec accusé de déception
Publicité
Archives
Newsletter
Avec accusé de déception
Publicité