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Avec accusé de déception
9 mai 2018

Marx, Marcuse, Marchais et autres Mai-disances

L’idée de révolution n’a plus de présence pratique dans la période actuelle. […]

Elle sert de référence, de code, elle permet un marquage, une discrimination symboliques […]. 

Elle permet de répartir les idéaux, les idéologies, et leurs partisans, en camps bien distincts

et suscite enfin cette surenchère aussi grotesque que répandue qui fait qu’on rencontre toujours plus révolutionnaire que soi…

Claude Orsoni,
“La Révolution en question” (1984).

 

 

Ce n’est pas pour faire mon malin, mais ce week-end, c’était le bicentenaire de la naissance de Karl Marx. C’est pourquoi la République populaire de Chine, ayant retenu les leçons du confucianisme, a offert à Trèves, sa ville natale, une magnifique statue de cinq mètres et demi de hauteur.

5-5 comme le 5 mai.

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Que reste-t-il de celui qui peut avant de disparaître affirmait qu’il n’était pas marxiste ?

En forme de boutade, nous pourrions répondre qu’il est plus lu et commenté par les éditorialistes de BFM Business que par les black blocs, qui ont abandonné la faucille mais pas le marteau, ou les zadistes férus de permaculture.

« Excellent lecteur de Karl Marx » selon le philosophe « communiste » Louis Althusser, Raymond Aron aurait-il terrassé son collègue d’agrégation Jean-Paul Sartre ? Ce libéral qui a étudié « le Capital » dès 1931 et en allemand n’a jamais caché son admiration pour le Marx économiste et, bien sûr, sa défiance pour le Marx philosophe de l’Histoire. Ce qui ne l’empêchait pas de voir dans l’orthodoxie d’État soviétique un dévoiement de la pensée du prophète de Trèves.

Bref, de Rosa à Korch, en passant par Morris, Kautsky, Plekhanov, Lénine, Bernstein, Gorter, Pannekoek, Gramsci, sans oublier Bordiga, Munis, Janover, Rubel, Kurz ou… Minc (!), on trouve de tout à la Saint-Marxritaine.

Dès juin 1968, Raymond Aron écrit « la Révolution introuvable. Réflexions sur les événements de mai ». Or, à l’époque, comme le dit le coruscant Jean-Christophe Bailly (« Un arbre en mai », Seuil), Marx est un fond de sauce, les étudiants révolutionnaires ne l’ayant pas vraiment étudié. Dans le milieu contestataire, on débat de la Commune de Paris ou de la Révolution espagnole. On a très peu lu Guy Debord, un peu plus Henri Lefebvre, pas tellement Herbert Marcuse. Pourtant, c’est l’auteur de « l’Homme unidimensionnel » (“One-dimensional Man”, 1964, Boston, traduit en français trois ans plus tard) que les médias et le PCF vont mettre en avant.

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« Un des maîtres à penser de ces gauchistes, écrit l’ineffable Georges Marchais dans « l’Humanité » du 3 mai 1968, est le philosophe allemand Herbert Marcuse qui vit aux États-Unis. » Bref, un Boche au service de l’impérialisme yankee !

Et de fustiger dans le même papier le Mouvement du 22 mars Nanterre « dirigé par l’anarchiste allemand » Cohn-B(a)ndit.

Les deux présentent l’avantage d’être juifs et teutons. Contre-attaque des étudiants qui entre deux lancers de pavés scandent « nous sommes tous des juifs allemands » en soutien à Dany.

Juif et allemand comme Marx ?

Ah bah non ! Carlitos est le fils d’un juge converti au luthérianisme. Son grand-père était rabbin, mais lui n’est pas de religion hébraïque, même s’il présente un certain goût pour l’apocalipse. D’ailleurs il est peu porté sur l’opium du peuple, les cigares et l’alcool fort lui suffisent.

Ça y est ! J’ai franchi la ligne !

Mais quelle ligne ?

Savez-vous qu’un double spectre hante le communisme ? Celui de la malhonnêteté accouplée à l’arrogance intellectuelle. C’est un poison, une drogue. Plutôt que de l’affronter à fleuret moucheté, il faut discréditer l’ennemi de classe…

Il y a un couple de décennies, votre serviteur a fréquenté un cercle de discussion composé de libertaires et marxistes dits anti-autoritaires. Une des conditions de la participation aux débats était de demeurer courtois. Pas de coups bas (sauf « libre »), pas d’insultes, pas de médisances. « Ce n’est pas parce que Marx avait des furoncles que je dois en avoir ! » s’écria un jour une charmante jeune Vénézuélienne. On a beau s’appeler camarade, on apprécie la lutte des crasses, l’amitié passant souvent après les idées, qu’il convient de faire triompher sous peine d’être un petit bourgeois.

Le comte Jean d’Ormesson ne saurait être ainsi qualifié. Néanmoins, c’est lui qui en tant que secrétaire général adjoint du Conseil international de la philosophie, dépendant de l’Unesco, organise, dès le 7 mai 1968, le colloque ayant pour thème : « L’influence de Karl Marx sur le développement de la pensée scientifique contemporaine ». Nous sommes en plein cent cinquantième anniversaire et parmi les têtes d’affiche françaises figurent Raymond Aron, Alfred Sauvy, Louis Althusser, Roger Garaudy et… Herbert Marcuse. Des intellectuels italiens, américains, soviétiques sont présents, mais pas de Chinois. À peine remis des hécatombes de la Révolution culturelle, l’empire du Milieu n’est pas adhérent à l’Unesco.

Herbert Marcuse, qui a théorisé la violence anticapitaliste, semble comme désolé que les étudiants, en guise d’hommage, passent des cours magistraux aux travaux pratiques. Celui qui a écrit : « Il est d’une importance qui dépasse de loin les effets immédiats que l’opposition de la jeunesse contre “la société d’abondance” lie rébellion instinctuelle et rébellion politique » se terre dans son hôtel et refuse tout interview.

De son côté le « Divin Rouquin » a déclaré : « Si vous voulez, je suis marxiste comme Bakounine l’était : Bakounine a traduit Marx. […] Je crois que je me suis déterminé à partir des positions de la Commune ouvrière de Kronstadt où des anarchistes luttèrent contre la mainmise du parti bolchevique sur les soviets. Par conséquent, je suis très antiléniniste. »

Mais pas antiprovocation bien sûr. « Marcuse, connais pas », fanfaronne le Zorro de la mauvaise foi qui sait l’affection intellectuelle que Rudi Dutschke, son homologue d’outre-Rhin, porte au vieux Marcuse.

Pis, Dany, depuis Rome, urbi et orbi donc, traitera l’auteur d’ « Eros et Civilisation » d’agent de la CIA !

Ce qui est faux mais perfide…

En juin 1941, le président Roosevelt encourage la naissance de l’Office of the Coodinator of Information monté par l’avocat William Donovan. Dès août la section recherches et analyses voit le jour. Bill Donovan recrute des gens de l’image, des cinéastes, dont John Ford et Merian Cooper (réalisateur de « King Kong » en 1933 et pilote de guerre formé en France), et des intellectuels et philosophes comme Herbert Marcuse, qui ayant fui le nazisme avec sa petite famille tire le diable par la queue. L’ancien sympathisant spartakiste analyse l’évolution du régime hitlérien tout en fournissant quelques pistes de réflexion pour l’après-guerre.

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Will Bill Donovan

Dissous en juin 1942 et placé directement sous les ordres de Maison blanche, l’OCI (ou COI in French) devient l’OSS, Office of Strategic Services. Oui, comme OSS 117.

Au grand dam du FBI et des services secrets militaires US, l’OSS va œuvrer en Afrique du Nord française, dans la métropole au côté de la Résistance puis dans l’ensemble de l’Europe occidentale.

Après guerre, l’organisation, qui emploie près de 20 000 personnes, est démantelée. La branche R&A tombe dans l’escarcelle du Département d’État. Et las qu’on ne fasse plus guère appel à ses compétences, Marcuse rejoint l’université en 1951.

Entre-temps, en 1947, la CIA a été créée. Et donc, l’antinazi Marcuse n’a jamais travaillé pour elle…

Le ping-pong continue.

Une légende urbaine tenace veut que Dani le rouge ait eu pour amoureuse Françoise Missoffe, devenue de Panafieu, fille du ministre UNR chahuté lors de la légendaire inauguration de la piscine du campus de Nanterre en 1968. Que nenni ! nous affirme Jean-Pierre Duteuil, alter ego du marxiste libertaire de Montauban, « ces rumeurs-ragots [ont] surtout été colportées par les staliniens et la presse de caniveau de l’époque » pour accréditer « les liaisons dangereuses » des anars avec le pouvoir gaulliste.

Cohn-Bendit a évoqué Bakounine traducteur de Marx.

Rarement traduction ne coûta aussi cher…

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De gauche à droite : Marx, Engels et Bakounine

Au congrès de septembre 1872, les ruines de la Commune fumant encore, l’Internationale se déchire entre marxistes, anarchistes, blanquistes, modérés anglais… Le torchon brûle surtout entre Marx-Engels et Bakounine. Ces derniers temps, par les deux compères, Mikhaïl a été accusé d’être un agent de la police russe, d’avoir voulu capter l’héritage des prétendus fonds mis à la disposition de Herzen, d’être un maître chanteur et d’avoir escroqué Marx dont il n’a pas mené à bien la traduction des œuvres en russe. L’éditeur Poliakoff a fait une avance à Bakounine et rien, des nèfles, pas de traduction !

H.-E. Kaminsky écrit : « La réputation de Bakounine n’est pas atteinte par ces calomnies. Mais en introduisant ces méthodes de la lutte fractionnelle dans l’Internationale, Marx crée un précédent qui pèse lourdement sur tout le mouvement ouvrier. Nombre de ses disciples imiteront les bassesses de leur maître, sans avoir l’excuse de son génie ! »

Seul spolié dans l’affaire, Poliakoff n’en tiendra jamais grief à Bakounine.

L’Internationale sera marxiste ou ne sera pas. Elle est délocalisée à New York pour mieux se dissoudre… Marx a obtenu ce qu’il voulait…

Biographe du « Maure », le communiste de conseil Otto Rühle écrit : « Qu’il [Marx] se soit servi pour triompher objectivement de moyens aussi honteux que de souiller son adversaire, c’est un geste déshonorant qui ne salit pas Bakounine et qui avilit au contraire son auteur. On voit bien là le trait fatal d’un caractère : ni les questions politiques, ni le mouvement ouvrier, ni l’intérêt de la révolution, rien ne passe jamais pour Marx qu’après le souci de sa propre personne. Qu’un concile de révolutionnaires internationaux prêt à faire sauter à la première occasion le code de la propriété personnelle et de la morale bourgeoise ait chassé, proscrit, expulsé, sur la dénonciation de son chef, le plus génial, le plus héroïque, le plus fascinant de ses membres sous le prétexte d’une infractions aux lois bourgeoises de la propriété, c’est une des plus sanglantes plaisanteries de l’Histoire. »

Laissons conclure Raymond Aron : « La dernière fois que j’ai rencontré [Marcuse] – nous sommes personnellement en bons termes en dépit de nos désaccords – je lui ai dit : “En somme, votre philosophie, c’est la violence pour arriver à une société complètement pacifiée.” Il m’a répondu : “C’est exactement cela.” »

Et pourtant, l’auteur de « l’Homme unidimensionnel » avait écrit : « La fin doit apparaître dans les moyens… »

Sans rancune, Carlitos, et merci de nous avoir fait comprendre que l’instinct de mort gouvernait le capitalisme.

Avec un peu de retard, bon anniversaire !

PS : il faudra un jour que je vous entretienne de sa descendance. N’en déplaise à certains, la lignée de Jenny et du Maure est française et non allemande ou anglaise…

 

Bonus :

• Raymond Aron analyse Mai 68

 



• “La dialectique peut-elle casser des briques ? » de René Viénet, 1973

 



  • Film "Le jeune Karl Marx"

 

 


 

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