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Avec accusé de déception
20 juin 2019

Et Tony vengea Bernie (Bronx, Baker, Budapest)

« Entre Curtis et Lancaster, il y avait une différence :

Tony possédait une fantastique vanité mais aucun ego.

Il jouait mille fois mieux que Burt,

mais il lui manquait cet ego en béton qui faisait la qualité de Lancaster »


Alexandre Mackendrick, réalisateur


Ce n’est pas pour faire mon malin, mais, comme beaucoup, gamin, j’étais plus Danny Wilde que lord Brett Sinclair. Plus Ferrari Dino qu’Aston Martin DB7. Et puis, Danny Wilde révolutionnait les codes vestimentaires : tee-shirt sur blouson de cuir, mitaines marron, cravate-foulard. Le tout sublimé par le doublage riche en improvisations du formidable Michel Roux.

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Mais ne soyons pas trop sévère à l’égard de Sir Roger Moore, producteur et à l’occasion réalisateur de certains des 24 épisodes d’« Amicalement vôtre » (« The Persuaders »). C’est lui qui, après avoir vu « l’Étrangleur de Boston », a choisi Tony Curtis comme alter ego. « Il pouvait tout jouer… » Et même rendre un serial killer humain. Évidemment, le début du tournage a été perturbé par le fait que Bernard Schwartz s’est présenté à l’aéroport de Londres (lui qui était atteint d’aérodromophobie…) avec une mallette regorgeant de produits illicites.

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Rappelons qu’« Amicalement vôtre » n’a duré qu’une saison (1970-1971), l’exportation aux États-Unis ayant été problématique : des personnages trop libertins, trop alcoolisés, trop libres, pas assez violents. Et puis sir Roger a été appelé pour interpréter James Bond.


Dans un documentaire diffusé sur Arte, j’eus la joie de découvrir une belle New-Yorkaise juive se laissant filmer au sortir de sa douche, poitrine généreuse. La damoiselle confessait ceci : Kirk Douglas est baraqué, Paul Newman a de beaux yeux… Les juifs ne sont pas sexy, sauf Tony Curtis, ah oui ! lui…


Voilà peut-être le drame de Bernard. Trop pétillant pour être un acteur détenteur de la « carte », alors qu’il affiche tout de même 130 films au compteur, dont des chefs-d’œuvre, qu’il figure tout de même sur la couverture du disque mythique des Beatles « Sgt. Pepper’s Lonely Heart Club Band ». Et qui, par sa banane, a inspiré la coiffure d’un certain… Elvis Presley. A-t-il été éreinté par la critique bien-pensante parce qu’il se riait de l’Actor’s Studio ? « Ces gens ont changé mon métier, ils l’ont rendu prétentieux. Dans ma profession, on ne pense pas, on est. C’est une illusion de croire qu’un acteur doit être une grande tête pensante. Brando était une exception. Sa technique consistait à ne rien apprendre. Du coup, il paraissait toujours merveilleusement spontané. Et pour cause ! Il découvrait son texte en même temps que le spectateur. »


Nommé à multiples reprises aux oscars et Golden Globe, il n’en décrocha jamais un. Mais fut récompensé en Angleterre d’un Bafta pour « le Grand Chantage » et fait chevalier de l’Ordre des arts et lettres en 1995, à Paris.


Évoquer Tony Curtis, en ce mois de juin, de Junon, déesse de l’amour, puisqu’il est né le 3 juin, ce n’est pas faire du pipole mais s’arrêter sur l’histoire du racisme aux États-Unis, de Hollywood mais aussi de la Mittelleuropa.


Quand d’aucuns l’ont prévenu que l’industrie du cinéma n’était pas de tout repos, Bernie répliquait : « Avec New York comme terrain d’entraînement, Hollywood, en comparaison, a été du gâteau. »


Bernard Schwartz est né le 3 juin 1925 à New York dans une famille de juifs hongrois miséreux, dont les parents, Emanuel, tailleur de son état, et Helen, n’ont survécu que grâce à l’assistance de la communauté. Magyarophone, Bernie n’apprend l’anglais qu’en entrant à la primaire. Il a deux petits frères, Robert et Julius, et grandit au sein d’un couple qui se déchire. « Ma mère me battait. Je n’ai jamais eu d’illusions sur la douceur de la vie. » Robert sera tellement tabassé qu’il en conservera des séquelles mentales à vie. Great Depression oblige, l’aîné est confié à un orphelinat, la famille ne pouvant plus nourrir ses rejetons. Bernard n’a que 13 ans quand son seul ami, Julius, est tué par une voiture. Il contracte avec le virus de la rue, embrouilles, bagarres, internements, mais aussi séances de cinéma… Entre-temps, il s’amuse à jeter des capotes pleines d’urine sur les US nazis qui défilent dans New York.
C’est la Deuxième Guerre mondiale qui le sauve de la prison. À 16 ans, il s’engage. Sous-marinier, il est dans la baie de Tokyo quand le Japon capitule. Il se souviendra de cet épisode quand il interprétera au côté de son idole, Cary Grant, « Opération Jupons ». Comme « vétéran », il dispose désormais d’une bourse d’étude et intègre la New York Dramatic Workshop. Sur les planches, il côtoie Walter Matthau ou Rod Steiger.

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Vraie gueule d’amour, il est remarqué par un agent de l’Universal et intègre les studios à 23 ans avec deux objectifs, se faire des dollars et des nanas. Mais il doit changer de nom, trop juif. Il choisit Anthony en référence au roman d’Hervey Allen « Anthony Adverse », et anglicise Kerstész, patronyme répandu en Hongrie, en Curtis.


Très vite, il joue au côté d’Yvonne De Carlo (qu’il conquiert) et Burt Lancaster avec qui il interprétera « Pourquoi j’ai tué », « Trapèze », « le Grand Chantage ». Et qui lui vaut une réputation de bisexualité.

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Tony se fait remarquer dans « Winchester 73 », puis « le Voleur de Tanger », en 1951, sur le tournage duquel il rencontre Janet Leigh, qu’il épouse et lui donnera notamment Jaimie Lee Curtis, « The Body », qu’on ne présente plus. (« Le meilleur moyen d’avoir l’air amoureux de sa partenaire féminine, c’est quand même de l’être vraiment, non ? ») Si le film trouve son public, Tony rencontre la vindicte critique : cet homme à l’accent faubourien parle-t-il vraiment anglais ?


Janet et Tony forment un temps le couple glamour de Hollywood. Cependant, Monsieur est volage, qui fréquente le Rat Pack de Frank Sinatra et Dean Martin (deux autres enfants d’immigrés). Par ailleurs, sur les plateaux, il multiplie les conquêtes : « J’ai toujours pensé qu’une des clauses en petites lettres de mon contrat chez Universal précisait que je devrais coucher avec toutes mes partenaires. À une ou deux exceptions près, je l’ai toujours honoré. » Athlétique, il s’illustre dans « Houdini, le grand magicien », à côté de Janet. Est-ce un hasard si le roi de l’évasion scénique est un juif né à Budapest ?


Libéré des chaînes de l’Universal, il entend interpréter des rôles plus consistants. Il retrouve alors et à Paris Burt Lancaster dans « Trapèze », au côté aussi de Gina Lollobrigida, et exécute lui-même certaines acrobaties. Le « couple » Curtis-Lancaster se reforme en 1956 pour « le Grand Chantage », film qui éreinte la presse à scandale.


L’année suivante, il entame sa première collaboration avec le génial Blake Edwards et « l’Extravagant Monsieur Cory ». S’en suivront « Vacances à Paris », « Opérations Jupons » et « la Grande Course autour du monde ».


En 1958, il affronte dans « les Vikings », avec Janet, le féroce Einar, alias Kirk Douglas. Quel délice de voir de « vrais Aryens » interprétés par un juif russe et autre magyar ! On retrouvera le trio, en 1960, dans « Spartacus », où Tony interprète… Antoninus, un esclave-poète donnant le bain à Crassus, Laurence Olivier, qui aime à la fois « les huîtres et les escargots ». Sulfureuse, la scène sera censurée et ne réapparaîtra que trente ans plus tard à la faveur de la restauration du film. Pis, Antoninius meurt en une posture post-coïtale dans les bras du Thrace rebelle…


Entre-temps, il est le prisonnier blanc raciste enchaîné à Sidney Poitier dans « The Defiant Ones ». Ce qui lui vaut une nomination aux oscars, Golden Globe et Bafta. Tony insiste pour que son ami soit crédité au même niveau que lui au générique. Copain de Harry Belafonte, Bernie est l’un des premiers Blancs à faire la une d’ « Ivory », le magazine des Africains-Américains, et ce avant le début de la lutte pour les droits civiques. « Tout le monde l’aimait, confie Sidney Poitier. Être avec Tony, c’est être avec quelqu’un qui vit intensément. Il était et est resté l’un des personnes les plus “speed” que je connaisse. »

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Dans « le Diable au soleil », film de guerre, il joue avec son pote Sinatra et Natalie Wood, qu’il séduit, of course. D’ailleurs, il la retrouve dans «la grande Course autour du monde», où le Grand Leslie affronte, dans un décor digne de Jules Verne, un autre juif hongrois, Peter Falk (eh oui ! Colombo n’est pas italien), et l’immense Jack Lemmon.

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Ah ! Jack Lemmon-Tony Curtis, le duo de musiciens travestis fuyant la Mafia dans « Certains l’aiment chaud », de Billy Wilder (juif polonais). « Some Like It Hot » est une manière de film féministe, puisque nos deux musicos vont connaître les difficultés d’être femmes dans une société machiste. « Billy Wilder m’a permis de me lâcher », avoue Tony.


Donc travesti, il échange tout de même un baiser saphique avec Sugar, la joueuse de ukulélé. Interprétant notamment le milliardaire William Shell Oil Junior, il fait semblant d’être insensible au charme de celle-ci. Dans la version originale, il imite alors et à la perfection Cary Grant, dont la bisexualité est un secret de polichinelle (douze ans de vie commune avec Randolph Scott).

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L’humour de Tony n’est pas celui de la presse. Quand il déclare, se référant aux retards et aux faiblesses de madame Monroe qui ont excédé l’équipe du tournage, que « l’embrasser était pire que d’embrasser Hitler », il s’agissait d’une boutade. En réalité, Tony a déjà eu une love affair avec Norman Jeane Baker dès l’été 1949 :

« Nos sentiments étaient réels. Malheureusement, ils n’ont pas résisté longtemps à la pression de Hollywood. Nos vies exigeaient trop de nous. Mais durant la courte période que nous avons passée ensemble, notre histoire fut tendre et intense. Je n’oublierai jamais ces moments. »


« Elle était à tomber. Sa beauté donnait l’impression qu’elle était intouchable, mais son sourire laissait entendre le contraire. »


Aurions-nous voulu être une petite souris quand Marilyn, devant son mari, Arthur Miller, et Tony avoue qu’elle est enceinte de ce dernier ?

« L’idée que mon enfant puisse être élevé par un être aussi froid qu’Arthur Miller ne me remplissait pas de joie. J’espérais que Marilyn et moi trouverions une solution. La fausse couche a sonné le glas de ces espoirs. » Tony défendra toujours bec et ongles la mémoire de cette « femme brillante ».


Derrière la pétulance de ses yeux bleus se cache une âme torturée : alcool, cocaïne, six mariages, autant d’enfants… Sa carrière ne s’arrête pas là, loin s’en faut. Il renoue avec Lancaster, Sinatra et Douglas dans « le Dernier de la liste », joue avec Gregory Peck, est le fils de Yul Brynner dans « Taras Bulba », renoue avec la bisexualité dans « Au Revoir Charlie », où il fricote avec Debbie Reynolds, réincarnation de son meilleur ami, enchaîne avec « Une vierge sur canapé » et Natalie Wood, Henry Fonda et Lauren Bacall, excusez du peu, se fait assommer sur une plage par une planche de surf dans « Don’t Make Waves » par une Sharon Tate en Bikini. (Il prêtera sa voix à Polanski dans « Rosemary’s Baby ».) « Dernier Nabad » au côté de Robert DeNiro, Robert Mitchum, Jeanne Moreau, il apparaît dans des nanars, des séries TV, mais aussi chez Tarantino et remonte sur les planches malgré son état de santé.


Après des années de désintox, il voit son fils Nicholas mourir d’une overdose en 1994. « Ma vie personnelle a été chaotique, je me suis drogué, j’ai bu. […] Je m’émeus toujours de l’affection des gens, ma vie a été une lutte permanente que seul le succès a adoucie. »

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Extravagant, en 1998, il épouse Jill Vandenberg, quarante-six ans de moins que lui et une tête de plus (« vous la trouvez déjà trop vieille pour moi ? »), publie des mémoires crues.

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La sagesse le guette, il se fait peintre (ses toiles s’arrachent à 25000 $ pièce), photographe, milite avec Bo Derek contre l’abattage des chevaux malades, du fin fond de Las Vegas, cher à Sinatra et ses amis « initiés » (qui ont vraisemblablement organisé le viol de Marilyn…). Dans son dernier film, « David et Fatima », en 2008, il joue un certain monsieur Schwartz.


Tony ne parvient pas à faire oublier Bernie : « Toute ma vie, je me suis fait traiter de sale juif, dans les rues de New York et sur les plateaux de cinéma. Par des techniciens, mes partenaires ou les figurants… Encore aujourd’hui, j’ai du mal à comprendre. »


Discriminés sous le régime de l’amiral Horthy, à la tête d’un pays qui n’a aucun débouché sur la mer, les juifs hongrois n’en sont pas moins magyars et point livrés aux nazis. Pis, la Hongrie est un refuge pour les isréalites de tout poil. En avril 1944, les « Croix fléchées » mettent fin à cette trêve. En quelques mois, d’avril à juillet, environ 440 000 juifs sont précipitamment déportés vers les camps d’extermination quand ils ne sont pas noyés dans les eaux glaciales du Danube.

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Sur les bords du Danube se trouve un monument pour les Juifs hongrois abattus et jetés dans le Danube par les membres du Parti des Croix fléchées. 

Les membres du Parti des Croix fléchées leur avaient demandé d’enlever leurs chaussures juste avant de les abattre et de se faire emporter par le courant du Danube.


En 1990, avec sa fille Jamie Lee, Tony cofinance la reconstruction de la Grande Synagogue de Budapest, la plus vaste d’Europe. Huit ans plus tard, il crée l’Emanuel Foundation for Ungarian Culture, restaure ou préserve synagogues et cimetières et édifie un magnifique saule pleureur en acier et argent en hommage aux victimes magyares de la Shoah.

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Grande synagogue de Budapest (c) S. Guenet


Tony Curtis meurt le 29 septembre 2010, le même jour qu’Arthur Penn, qui, lui, avait la carte et était aussi issu de la Mitteleuropa.
N’ayant jamais craint les rumeurs sur sa prétendue bisexualité, ami des « Nègres », séducteur dénué de machisme, Tony Curtis fut enterré avec son portable au cas où Billy, Kirk ou Blake veuillent le rappeler…

 

Bonus 

 

À lire :

Certains-l-aiment-chaud-et-Marilyn-de-Tony-Curtis-Le-Serpent-a-plumes

• “Certains l’aiment chaud et Marilyn », Tony Curtis, au Serpent à plumes.

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Commentaires
G
Merci Bruno pour se reportage très interressant<br /> <br /> stéphane
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