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Avec accusé de déception
27 mai 2019

Peaux blanches, masques noirs* (Eschyle était-il un suprématiste blanc ?)

“Là où l’on brûle des livres, on finit par brûler des hommes”
Almansor, jeune prince musulman,

dans le drame éponyme de Heinrich Heine, 1823

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Ce n’est pas pour faire mon malin, mais j’ai l’impression que l’esprit de « Charlie » n’inspire guère des organisations comme la Ligue de défense noire africaine, la Brigade antinégrophobie ou le Cran, Conseil représentatif des associations noires. En effet, le lundi 25 mars dernier, leurs militants ont empêché la représentation de la pièce « les Suppliantes » d’Eschyle, à la Sorbonne. Ils ont réussi là où, en avril 1966, un commando de « paras » avait échoué à censurer « les Paravents » de Genet, à l’Odéon ! Jean-Louis Barrault, Madeleine Renaud et Maria Casares avaient tenu bon.


Le motif de colère des bélîtres négro-centrés : l’usage de masques (antiques) et de maquillages foncés par les comédiens. Un usage vu comme une forme de « blackface », ce grimage parodique des Blancs en Noirs, en vogue dans la première moitié du XXe siècle dans les États-Unis des lois Jim Crow, du lynchage légal et du Klu Klux Klan.

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 Cheikh Anta Diop


Ces organisations décérébrées se fondent sur un racialisme essentialiste focalisé sur la couleur de la peau. Sans doute se revendiquent-elles du penseur sénégalais Cheikh Anta Diop (1923-1986). Selon « le plus grand savant du XXe siècle », l’Afrique noire, culturellement unie, a tout inventé : la géométrie, les mathématiques, la philosophie… grecque, les pyramides, voire les prémices de l’énergie atomique. Bien sûr, tous les pharaons étaient couleur d’ébène et avaient les cheveux crépus. Le reste relève de l’intox. Ce sont les suprématistes blancs, tous plus ou moins sionistes, qui ont travesti Ramsès II en Berbère et Cléopâtre en descendante de Grecs. Quant à Toutânkhamon, n’en parlons même pas… Infox, vous dis-je !


L’affable Cheikh Anta Diop avait beau écrire : « Je n’aime pas employer la notion de race (qui n’existe pas) », il était quand même attaché à celle de l’épiderme. Professeur d’égyptologie au Collège de France, martiniquais par son père, Jean Yoyotte (1927-2009) n’y va pas par quatre chemins : Cheikh Anta Diop était incapable de lire un hiéroglyphe. « D’un point de vue scientifique, son œuvre est nulle, c’est une série d’erreurs. Moralement, on peut déplorer que cet homme pacifique ait des successeurs tels que la tribu Ka [dissoute en 2006] qui s’appuient sur son ignorance des sciences humaines. Il ne savait pas qu’il y a des langues sémitiques et non pas des peuples sémitiques. Les Soudanais parlent une langue sémitique…» Cheikh Anta Diop travaillait à la bibliothèque du Collège de France. Un jour, Yoyotte le croisa: « Je lui ai dit : “Assez de ce classement avec pigmentation. Je suis blanc et mes sœurs sont noires !” » Cheikh Anta Diop sous-entendit alors que ma mère avait fauté. Yoyotte le saisit par le col…

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Procession du Serpent, Whydah (Ouidah), Bénin ex-Dahomey, Avril 1725.

(Jean Baptiste Labat, Voyage du Chevalier des Marchais en Guinée)


L’Einstein sénégalais a « curieusement » fait l’impasse sur la traite négrière transatlantique. Et pour cause, un tel sujet fait voler en éclats la légende de la belle unité du continent noir. Qu’importe, ses séides ont réponse à tout : le trafic négrier n’a impliqué que des Européens, dont les juifs bien sûr, principaux bénéficiaires– ah bon ? y avait encore des juifs au Portugal après 1497 ? Puisque la Terre est plate, qu’importe l’Histoire. Que le port négrier d’Ouidah, par exemple, fût tenu d’une main de fer par les rois d’Abomey ; que la chanteuse Angélique Kidjio ait récemment déclaré que dans cette ville « les descendants des négriers cohabitent avec les descendants des familles d’esclaves, sans que rien n’ait été réglé » ; que la confrérie du Poro fût une créée par des esclaves ayant fui leurs maîtres africains pour se réfugier dans les maquis de l’ouest du continent ; que bien des monarques se fussent convertis à l’islam pour échapper aux razzias de leurs voisins ; que l’Afrique fût pour les Européens impénétrable jusque dans les années 1880 ; qu’il existe encore des esclaves en Mauritanie… tout cela n’est que fake news, invention des Blancs !

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Quand je découvre sur la Toile que la macchémologie, « science mère des études africaines », est encore mal connue car nouvelle, je m’étouffe. Apparue à l’université de Vincennes vers 1971, elle charrie un certain nombre de concepts qui prêtent plus à pleurer qu’à rire. Étudiant en droit, j’ai eu… droit, voire le devoir, d’acheter les « Cahiers de macchémologie » au début des années 1980. Un salmigondis de prêches, d’incantations, où se mêlaient les pharaons, Hérodote, Strabon, Mao Zedong, j’en passe et des pires. Signe des temps, la lutte de classe y fréquentait encore la prétendue lutte des… races. Une époque révolue…


Le réseau d’enseignants du supérieur et de chercheurs, Vigilance universités, créé en 2016, devrait nous alerter : « L’Université devient un lieu où l’idéologie racialiste radicale prend le pas sur la recherche scientifique et la délibération collective. »


Entendons-nous bien : l’esclavage, les traites (afro-arabo-musulmane et transatlantique), la colonisation, le travail forcé (avec la complicité des chefferies locales…), l’apartheid, la ségrégation made in USA, la Françafrique relèvent de la catégorie crimes contre l’humanité. On peut dès lors comprendre le ressentiment… épidermique de Cheikh Anta Diop, mais l’indignation légitime ne vaut pas lettre de cachet scientifique. Jean Yoyotte s’interroge quant à la vision du pape de l’égyptologie négro-centrée : quelqu’un a-t-il civilisé le monde ? «La vision la plus bête d’un instituteur colonialiste et inculte, il l’a retournée. »


Quand Spike Lee signe son premier court-métrage, « The Answer », pour… répondre au « chef-d’œuvre » raciste de David W. Griffith « Naissance d’une nation » (1915), à la gloire du Klan, j’applaudis des deux mains. (À l’époque du « king David », le KKK était moribond. Bientôt il regrouperait jusqu’à trois millions de membres !)


Mais mes chers censeurs, Philippe Brunet n’est pas Griffith.

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Philippe Brunet


Éminent helléniste, membre de l’association théâtrale Démodocos, Philippe Brunet est le metteur en scène des « Suppliantes ». Sur sa page Facebook, on peut lire ceci : « Le théâtre est le lieu de la métamorphose, pas le refuge des identités. […] Dans “Antigone”, je fais jouer les rôles des filles par des hommes, à l’antique. Je chante Homère et ne suis pas aveugle. J’ai fait jouer “les Perses” [en grec ancien et en peul] à Niamey par des Nigériens (c’était dans le dernier film de Jean Rouch). Ma dernière reine perse était noire de peau et portait un masque blanc. »

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Antigone de Sophocle avec une mise en scène de Philippe Brunet


« On est absolument libres : on peut faire jouer Othello par un Noir ou par un Blanc maquillé. Acceptons de faire jouer tous les rôles par tout le monde. » Avant d’ajouter : « On ne peut pas nous couper de l’Afrique. Nous sommes profondément africains. C’est que raconte Hérodote. Ces gens-là vont juste nous séparer. »


Par surcroît, « les Suppliantes » est une pièce à la résonance étonnamment moderne bien qu’écrite au Ve siècle av. J.-C. Cinquante filles descendantes d’Argos – plus tard, dans la mythologie, elles deviendront les Danaïdes – sont poursuivies par les fils d’Egyptos qui veulent les épouser contre leur gré. Grecques à la peau brunie par le soleil du Nil, elles demandent, pour échapper à la violence conjugale, l’asile politique auprès du roi d’Argos, Pélasgos. Après délibération, les Argiens décident d’accueillir ces étrangères-concitoyennes, bien que migrantes basanées, au risque d’un conflit ouvert avec l’Égypte.
Le recours aux masques – dans l’Antiquité ils amplifiaient la voix des comédiens – au maquillage s’explique. Il faut que les suppliantes aient l’air physiquement différentes des Argiens. « L’histoire ancienne du masque grec ne peut être prise en otage et salie par les pratiques ultérieures des ségrégationnistes américains », écrit Vigilance universités. D’autant qu’Eschyle aurait certainement soutenu « l’Aquarius »…


Le poison racialiste venu des États-Unis infuse depuis longtemps. Il y a presque vingt ans, j’étais invité, dans un cadre associatif, à faire la présentation du film (brésilien) de Carlos Diegues « Quilombo ». Une ode (pas toujours très réussie) au Quilombo dos Palmares, république de marrons d’une superficie égale à la taille de la Belgique. Bien sûr, le film recèle quelques inexactitudes historiques mais il fut le premier à glorifier cette épopée émancipatrice qui dura tout de même de 1580 à 1694. (Le Cran n’aimerait pas qu’on rappelât que les marrons finirent eux-mêmes par posséder des esclaves…)


Dans « Quilombo », presque tous les acteurs sont noirs : Zezé Motta, Grande Otelo, Antônio Pompêo… La musique est signée Waly Salomão et… Gilberto Gil, grand chantre de la négritude pacifiée afrobahianaise.


Improvisant, je délivrais mon laïus et évoquais la concordance des temps. « Quilombo » loue la liberté et la dignité retrouvée des esclaves mais aussi le retour du Brésil à la démocratie. Le film date de 1984.

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Statue de Zumbi à salvador de Bahia

Les chasseurs d’esclaves portugais y sont âpres au gain, crasseux et mal rasés. Les émancipés, beaux, radieux et musclés.
Je voyais bien qu’une infime partie de mon auditoire présentait un encéphalogramme plat. À la fin du film, qui ressemble presque à une tragédie grecque – l’ancien chef Ganga Zumba accepte un compromis avec l’ennemi mais finit par se suicider, tandis que son rival et néanmoins ami, Zumbi, Robespierre tropical, ira jusqu’au sacrifice suprême – un autre s’engagea. J’en perdis ma mâchoire inférieure en découvrant que quelques intervenants, afro-brésiliens ou antillais, s’élevèrent contre ce film… raciste. Cacá Diegues filme la forêt du cerrado et parfois un jaguar, un caïman… un paresseux. Le masque noir était tombé. Représenter à l’écran un paresseux revenait à dire que les Noirs étaient des fainéants ! Se tournant vers moi en un mouvement compatissant, mon hôte eut cette phrase : « Ils ne peuvent pas apprécier ce film, ce sont des militants. »


Depuis longtemps, dans la raciosphère, militant est donc devenu synonyme d’ignorant.

* Petit clin d’œil à Frantz Fanon, auteur de « Masques blancs, peaux noires ».

 

Bonus :

 

À écouter

•  De François Morel, « C’est quoi, le théâtre ? »

 

C'est quoi, le théâtre ?

François Morel, pour cette chronique, est en duplex de Lausanne en Suisse.

https://www.franceinter.fr


 

À regarder

• Cette hallucinante vidéo, où l’on découvre qu’il existe une science occidentale et une science africaine.



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