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Avec accusé de déception
12 avril 2019

Alsaciens, entre “Boches” et “Youpins” (Tomi Ungerer et les trois brigands – 1re partie)

Quand on parle trois langues, on est trilingue.

Quand on en parle deux, bilingue.

Quand on n’en parle qu’une, on est français

Roger Siffer, artiste multitalent alsacien

Ce n’est pas pour faire mon malin, mais j’ai été affecté par le décès de Tomi Ungerer, survenu à Cork, en Irlande, le 9 février dernier. Il avait 87 ans.

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Dans une autre vie, animateur en maternelle, j’ai narré ses « Trois Brigands » à nos chères têtes blondes (ou crépues). Doublement helvético-alsacien par mes aïeux, Fischer et Bachmann (que je traduirais librement par « l’homme de Rio »), j’ai toujours senti que, à cause de Tomi, bien que Parisien depuis cinq générations, je n’étais pas vraiment un Français de l’intérieur. Pourtant, au Château-des-Rentiers, dans le 13e, on avait l’accent d’Arletty et mon arrière-grand-mère, que j’ai connue, morte à 101 ans, est née sous la Commune de Paris.

Une chose est sûre, on était dreyfusards…

(Selon Philippe Bourdrel, auteur d’«Histoire des juifs de France», bien des israélistes alsaciens de l’Intérieur voulaient croire en la culpabilité du capitaine puisque l’armée française le jugeait ainsi. Par désir d’intégration ? Par peur des représailles ?)

Tomi (Jean-Thomas) est né à Strasbourg le 28 novembre 1931. Il perd son père, horloger, ingénieur, historien et artiste, à l’âge de 3 ans et demi. Enfant malade et prostré, il en a 8 quand l’Alsace est annexée au Reich. Il a alors trois semaines pour apprendre la langue de Goethe et pouvoir réintégrer l’école. Il est « Français à la maison, Alsacien dans la rue et Allemand à l’école ». « J’ai appris ce que c’est que d’être minoritaire. » Sa mère est passible de la déportation car elle continue de parler français en public. Les nazis brûlent les livres francophones de la bibliothèque de Strasbourg. À la Libération, les Français de l’intérieur procèdent à leur tour à des autodafés (en portugais actes de foi !) : au feu ! les ouvrages en « boche ». À Tomi et à tant d’autres, on interdit de parler alsacien dans la cour de récréation. À 15 ans, il fomente alors une grève ! Ras la casquette d’être traité de « sale Boche ». Nous ne sommes pas des « ploucs am Rhein » !

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Assigné à résistance, il n’a pas oublié que ce sont des gendarmes français qui ont livré les juifs aux nazis. Antiraciste absolu, il sait ce que les Judéo-Alsacos doivent à la France, qui les a émancipés en 1791, eux qui ont été si longtemps maltraités, ghettoïsés, rackettés.

Comme il n’est plus de quelque part, Tomi s’invente des ailleurs, parcourt la France à vélo, se fait marin, voyage dans le Grand Nord et débarque à New York en 1956, avec, selon la légende, « 60 $ en poche et une cantine de dessins ». 

Demeuré un gamin blagueur et hypersensible, il publie rien de moins que 80 livres pour enfants en dix ans. Il fait aussi scandale avec son affiche « Black Power/White Power », s’aliène la gentry de Big Apple avec « The Party », en 1966, scandalise l’Amérique avec « Fornicon », trois ans plus tard (« [pour faire des enfants], il faut bien baiser… ») et voit ses ouvrages bannis des bibliothèques tout en voyant sa cote monter.

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Avant tout littéraire, notre autodidacte voue un culte à Céline (hélas !), Chateaubriand, Nerval, Jules Renard … « Pour moi, s’il devait y avoir un paradis, ce serait une bibliothèque. »

Inquiété par le FBI pour son militantisme contre la guerre du Vietnam, il s’exile en 1971 au Canada avant de vivre auprès de sa fille en Irlande. En 1975, l’auteur du « Géant de Zéralda » fait don à la ville de Strasbourg d’une partie de ses originaux et des jouets qu’il a lui-même fabriqués, avant de participer à la convention des droits de l’enfant du Conseil de l’Europe et d’inaugurer le musée qui porte son nom, en novembre 2007, où sont présentés 140 de ses livres et 40000 dessins !

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Auparavant, en 1988, il aura créé « la Fontaine de Janus » pour le bimillénaire de Strasbourg, puis, dix ans plus tard, reçu le prix Hans Christian Andersen, la plus haute récompense en littérature jeunesse. « L’Esprit frappeur », « Jean de la Lune » et « les Trois Brigands » sont adaptés au cinéma, entre 2007 et 2012.

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Survivant à trois infarctus et un cancer (« Tumor with humor »), notre Tomi écrit des aphorismes, un livre philosophique pour enfant et plaisante de la cécité qui le gagne, invoquant ce qui reste du plaisir de soi-même (« Selbstbefriedigung »). « Je suis mon propre garnement. »

J’ignore si Tomi le longiligne a lu le roman graphique du producteur france-intérien Philippe Collin. Avec le dessinateur Sébastien Goethals, il a publié récemment, chez Futuropolis, « le Voyage de Marcel Grob », l'histoire de son grand-oncle alsacien. Quand Philippe a découvert que Marcel, avec qui il entretenait d’excellentes relations, avait été incorporé à la SS, il a douloureusement coupé les ponts avec celui-ci au point de ne pas se rendre à son enterrement.

Annexée dès 1940, l’Alsace-Moselle, qui fut quand même allemande durant quarante-quatre ans et à qui on refusa après la « Grande Guerre » le référendum d’autodétermination revendiqué par les socialo-communistes de l’époque, a vu 134 000 de ses jeunes enrôlés de force dans la Wehrmacht et la terrible Waffen-SS. Tout le monde se souvient d’Oradour-sur-Glane et de Das Reich.

Philippe Collin a étudié, gagnant en indulgence : grand-tonton a été contraint d’être un odieux Teuton : ça te dirait que ta famille soit déportée en Silésie ? Si tu ne balances pas la grenade dans l’église – de Marzabotto, en Émilie-Romagne, Italie, le plus grand massacre de civils en Europe occidentale ! –, je te loge une balle dans la nuque ! Bien malin celui qui jugerait ces Alsaciens car telle était la terreur nazie. Le terme « malgré nous » revêt ici tout son sens. (voir le post dédié au Malgré nous ici)

Déporté du travail, mon père a dû prouver qu’il n’était pas juif et a failli être incorporé dans l’Abwehr. Mais pour le Reich, il était sans doute plus rentable qu’il demeurât esclave d’une belle et grande entreprise comme BMW (qui, me semble-t-il, existe toujours).

L’Allemagne a opprimé Tomi, la France l’a rejeté, les États-Unis l’ont banni. Trois brigands qui n’ont pas su adopter un garnement alsacien joyeusement pessimiste, élevé dans le protestantisme mais qui, chaque soir, priait un Dieu catholique car plus graphique…

Jean-Thomas a écrit : « Si la vie est une vallée de larmes, autant apprendre tout de suite à nager. » Et demeurer fidèle à l’enfant qu’on a été.

« Je hais la haine… »

Güater Tag !

 

 Bonus 

Tomi Ungerer

Tomi Ungerer est né le 28 novembre 1931 à Strasbourg. Affichiste, auteur-illustrateur, inventeur d'objets, collectionneur, dessinateur publicitaire, il est considéré comme l'un des plus importants auteurs de littérature jeunesse depuis plus de 60 ans. Ses livres ont été traduits en plus de quarante langues et certains ont été adaptés au cinéma, notamment Jean de la Lune (2012) ou en...

https://www.ecoledesloisirs.fr



Tomi Ungerer - Official Website

Tomi Ungerer - Official Site of world renowned and award winning author, artist and designer Tomi Ungerer

https://www.tomiungerer.com
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