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Avec accusé de déception
1 avril 2019

Formosa, belle, rebelle et aborigène (“Nous sommes déjà comme morts, alors mourons avec les Japonais”)

“C’est seulement quand l’oubli s’entremêle avec la mémoire

que les souvenirs méritent de devenir des histoires”

Wu Ming-yi, écrivain taïwanais

 


Ce n’est pas pour faire mon malin, mais j’ai cru comprendre que notre ami le dictateur Xi Jinping mettait la pression sur Taïwan. Ce n’est pas la première fois dans l’Histoire que cette terre austronésienne sinisée est convoitée.

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Quand j’étais gosse, on l’appelait encore Formose, du portugais formosa, a ilha formosa, l’île de beauté. Il faut dire que les Portugais ont accosté dans la belle méridionale dès 1542, alors base arrière des pirates chinois et japonais. Comme souvent, dans le sillon des Lusitaniens tracent les Bataves, qui vont valoriser la canne à sucre dans cette île encore largement peuplée d’Austronésiens : elle présente même la particularité de receler le plus grand nombre de langues de ce tronc commun qui essaime jusqu’en Polynésie. La Compagnie des Indes Orientales, bientôt en rivalité avec l’Espagne, incite les Chinois du continent à « valoriser » les terres des sauvages.


Quand j’étais gosse, Formose était l’île-refuge de l’odieux Tchang Kaï-chek, qui, après avoir jeté des communistes vivants dans les chaudières des locomotives, s’était allié au bon Mao pour combattre l’occupant japonais.

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Or, Formose a longtemps été une base arrière vouée à la reconquête de la Chine. En 1662, le pirate et marchand sino-japonais Koxinga (père de la nation taïwanaise) chasse les Bataves de cette île un temps convoitée par l’empire du Soleil-Levant, qui a essuyé une forte résistance aborigène. Fidèle, pour des raisons économiques à la dynastie Ming, expulsée par les Mandchous, son fils Zheng Jing essaie de mettre en coupe réglée les villages abo. En 1683, les Qing (mandchous, qui régneront jusqu’en 1912) les défont, mais n’entendent pas coloniser l’île, qui rapatrient force Chinois sur le continent. Pendant près d’un siècle, il sera interdit à ceux-ci d’émigrer à Formose. Puis, ce seront le Far East, les conflits avec les « «aborigènes des montagnes »… Après les mariages mixtes, les Qing dessinent, en 1739, une frontière entre les Han et les « sauvages ».


En 1871, des naufragés japonais sont massacrés par des abo : force expéditionnaire de 2000 hommes en 1874, revers militaire et surtout sanitaire (à cause des fièvres). Ippon pour les Nippons !


À l’automne 1895, l’éphémère République de Taïwan cède sous la pression japonaise. Formosa va se révéler un laboratoire de la colonisation et une plate-forme de conquête du continent. Les militaristes de Cipango s’efforcent de nipponiser les élites taïwanaises et de soumettre les aborigènes. En 1945, les Japonais évacuent l’île. S’ensuit, en 1947, une brutale répression de la part des Chinois nationalistes du continent à l’encontre des insulaires accusés de tous les trafics. La décolonisation commence mal. La République de Chine de Tchang Kaï-chek, qui regorge d’archives et d’œuvres d’art volées à la future République pop, doit rapidement son salut à la guerre de Corée, qui la sanctuarise dès l’été 1950.


Le dictateur Tchang Kaï-chek et son Guomindang entreprennent une campagne de sinisation forcée, combattant les « dialectes » locaux, alors qu’ils ne se disent que de passage, convaincus qu’ils vont finir par renverser Mao. Bientôt la roue de l’Histoire tourne. Dès 1964, De Gaulle reconnaît le régime de Mao, Nixon se rend à Pékin huit ans plus tard. Et c’est, en 1979, sous Carter que Washington reconnaît la Chine populaire. Seul le Vatican demeure fidèle à Taï.


Cependant, l’île décolle économiquement, procède à la première élection présidentielle au suffrage universel en 1996, élit quatre ans plus tard un « indépendantiste », se débarrassant d’un demi-siècle de mainmise du Guomindang. Pourtant, l’indépendance demeure la ligne rouge à ne pas franchir pour les États-Unis comme pour la Chine. (Cataclysme plus discret que le 11 Septembre, la Chine pop intègre l’OMC en 2001.)

taiwan

Élue, en 2016, la candidate du Parti démocratique progressiste, Tsai Ing-wen, plus modérée que son prédécesseur, a tendu la main à Pékin tout en l’exhortant à « respecter l’intégrité de l’île ».


Donc statu quo dans une Formose divisée… Nonobstant, dans leur manche, les capitalistes taïwanais ont des atouts, eux qui emploient force Chinois du continent. Ils sont même les premiers investisseurs en République pop ! Et entretiennent des liens économiques privilégiés avec la Corée du Sud et le Japon. Ce en quoi ils ne sont pas rancuniers – le commerce reprend toujours ses droits.


À ce jour, Formosa est une île en suspens.


Sur Wikipédia, on peut lire cette phrase ahurissante mais non dénuée de vérité : « En 1930, durant l’incident de Wushe, les Japonais utilisent des armes chimiques sur les populations aborigènes. »

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2000 hommes se lancèrent à la poursuite des Seediq qui se réfugièrent dans leur montagne

et menèrent des actions de guérillas efficaces notamment de nuit.

 

二次霧社事件

 Un officier japonais pose devant les têtes coupées de Seediq 


Passionné depuis des décennies par le peuple seediq, le romancier graphiste Row-long Chiu, via son chef-d’œuvre «Seediq Bale, les guerriers de l’Arc-en-ciel », a obtenu en 2008 la reconnaissance officielle dudit peuple comme quatorzième ethnie aborigène de la République de Chine. Les peuples premiers représentent environ 2% de la population taïwanaise.

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Lors de leur dernière révolte, en 1930, « les hommes authentiques » avaient pris soin d’épargner les Chinois des plaines tandis qu’ils étaient affairés à décapiter les Japonais…


En langue vernaculaire, décapiter se dit mgaya, c’est-à-dire faire « preuve de moralité ». Une décapitation réussie est celle qui permet de distinguer le vrai du faux. La tête coupée se révèle un objet de sacrifice pour les âmes des ancêtres. On ne devient un homme véritable qu’après sa première décapitation et peut alors se faire tatouer le visage et chevaucher l’arc-en-ciel.


Quant aux femmes, il faut qu’elles soient expertes en tissage pour gagner leurs premiers tatouages faciaux. Une femme non tatouée est considérée comme un enfant.


Or, comme tout bons colonialistes, les Japonais interdisent aux Seediq la décapitation, les tatouages faciaux, histoire de les infantiliser. Bientôt, ils n’auront plus droit de chasser, de vagabonder, de semer. Place au travail forcé ou presque…

hanaokaichiro


« L’incident de Wushe » se déroule dans les montagnes centrales de l’île. Wushe se veut même une commune nipponisée modèle. On favorise les mariages mixtes (qui se terminent en viol), encourage l’éducation de certains sauvages : Ichiro Hanaoka est le premier Seediq à intégrer l’école normale, il deviendra surveillant de la commune ; Jiro Hanoaka est promu policier (tant pis s’il gagne deux fois moins que ses confrères japonais).


À quelques encablures de Wushe est le village de Masepo, « où le vent emplit l’air de pétales de cerisiers », repaire de Rudo Mouna, le Geronimo local (avec son 1,90 m, il est bien plus grand que le chaman apache). Rudo Mouna est un modérateur, il a tout connu, les révoltes de 1920, de 1925, les familles brûlées vives dans leur maison, il a fait le voyage au Japon dans « les écoles où l’on enseigne à tuer des gens », histoire de terroriser les sauvages. Il se souvient comment le peuple bunun, agissant pour l’occupant, à aider au massacre les Seediq en 1903. Sa sœur cadette a été mariée à un Japonais, répudiée et honnie de retour à son village. Ses fils ont presque honte de lui, qui fut gracié par les Japonais.

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Rudo Mouna avec les chefs tribaux Seediq


Humiliations, viols, travail forcé, déforestation effrénée, le peuple seediq n’en peut plus de l’occupant. Les mariages sont les seules fêtes encore autorisées. Le 7 octobre 1930, un officier japonais (corrompu comme la plupart) manque de respect aux villageois. Rudo Mouna et ses fils décident de passer à l’action. Ils fédèrent six villages seediq et profitent d’une grande fête sportive à Wushe pour passer à l’action et au fil de la machette quelque 136 Japonais, soit le plus grand fait de résistance de toute l’histoire de l’île. Stupeur et tremblement de la part des Nippons, qui croyaient avoir définitivement domestiqué les aborigènes. Les Seediq réveillent quelque sympathie de la part des Chinois des plaines. Sur les murs de Taïpei, on peut lire : « Face à l’impérialisme japonais, soutenons les révoltés de Wushe ! »


Geronimo et ses 40 guerriers ont été pourchassés pendant des mois par des centaines de « tuniques bleues », en vain. Ils ne se sont rendus qu’aux éclaireurs apaches.


Malgré leurs armes, les « oiseaux de fer » crachant leurs armes chimiques, les 4000 soldats japonais ne parviennent à vaincre, au terme de cinquante jours de combat, les 300 Seediq rebelles qu’en soudoyant des Seediq collabos : 100 yens pour la tête d’un homme, 30 pour celle d’une femme, 20 pour celle un enfant…


Pour les Seediq, les humains sont issus d’un étrange arbre divin, mi-bois, mi-pierre. Sans divulgâcher l’œuvre de Row-long Chiu, disons que certains rebelles acculés rejoindront leurs ancêtres en se pendant. Le nipponisé Ichiro tuera sa femme et son bébé : « Mon fils ! le destin ne va pas nous permettre de vivre ensemble… » Jiro se fait «seppuku», hara-kiri… On ne renonce pas à ses racines comme ça.


Le 25 avril 1931, l’occupant japonais fomente une vraie-fausse révolte dans un camp de détention ; 216 vieillards, femmes et enfants sont assassinés. Comme les Apaches de Geronimo, d’autres Seediq sont déportés en un lieu insulaire. Leurs terres sont offertes aux collabos.


Rudo Mouna se donne la mort après avoir tué sa femme et deux de ses petits-fils. Il avait à 49 ans. Sa dépouille revient, en 1973, à Wushe, où un mausolée a été érigé en son honneur.


Fruit de vingt ans de recherche, « Seediq Bale, les guerriers de l’arc-en-ciel » est le premier roman graphique taïwanais traduit en français.
Rudo Mouna, Geronimo, contre la face hideuse du colonialisme mondialisé, votre révolte désespérée avait quand même une de ces gueules…
Saurions-nous encore capables d’être des « hommes authentiques » comme vous ?

 

À lire


• “Seediq Bale, les guerriers de l’Arc-en-ciel », Row-long Chiu, éditions Akata, 2013, 23,50 €.

Seediq Bale, les guerriers de l'Arc-en-Ciel - Manga | Akata

En 1895, à l'issue d'une longue guerre, la Chine cède au Japon l'île de Taïwan.

http://www.akata.fr

 

• “Le Magicien sur la passerelle” de Wu Ming-yi, chez l’Asiathèque, 272 pages.

 

Le Magicien sur la passerelle | L'Asiathèque

Sur la passerelle reliant le bâtiment " Ai " (Amour) et le bâtiment " Hsin " (Confiance) du grand marché de Chunghua, à Taipei, un magicien exerce son art. Autour de lui, tout un monde s'active dans de petits métiers. Le narrateur, qui a une dizaine d'années à cette époque-là, tient un stand de semelles en face de l'illusionniste.

https://www.asiatheque.com

 

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