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Avec accusé de déception
28 novembre 2018

Jean de nos pays (Hansi and Johnny, 3e partie)

Les Français ont besoin d'une raclée.

Si les Prussiens l'emportent, la centralisation du pouvoir d'État

favorisera la centralisation de la classe ouvrière allemande. ”

Karl Marx (1870)

 

 Ce n’est pas pour faire mon malin, mais, lors de la « Grande Guerre », ma grand-mère était munitionnette (d’où ses avant-bras musclés), et mon grand-père, un jeune syndicaliste révolutionnaire qui a tout fait pour échapper, en 1917, à la conscription. Or, je n’ai jamais entendu prononcer le mot « boche » à la maison. De la même façon flottait chez nous un parfum œcuménique : mon grand-père eut des amis anarchistes qui se sont évaporés au contact de la Tcheka dans ce qui allait devenir l’Union dite soviétique, dès le début des années 1920. Il savait que les communistes infiltraient la CGT pour en mieux chasser les libertaires et que bientôt leurs apparatchicks moscoutaires s’en prendraient à la CNT et au Poum en Espagne. Puis, vaincu de l’Histoire, il a voté communiste tout en défendant Léon Blum quand quelqu’un s’avisait de traiter celui-ci de « juif », avait dans notre bibliothèque le livre de Talès « la Commune de 1871 » préfacé par Léon Trotski. Et sans ambages a naturellement glissé dans l’urne son bulletin Mitterrand en mai 81.

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Jean Longuet

Pour m’être penché sur le dossier Johnny Longuet, j’ai la faiblesse de croire que l’attitude de ce socialiste minoritaire dès l’été 1914 ne fut peut-être pas étrangère à cette entente cordiale. En résistant à l’hystérie chauvine qui s’était emparée de la France au début de la Grande Boucherie, il permit que les gauches ne volassent pas complètement en éclats comme en Allemagne. Où un Hans Beimler eût peut-être affronté les armes à la main le petit-fils de Karl Marx.

Jaurès assassiné (au côté de Johnny d’ailleurs), l’opposition à la guerre est balayée. Rédacteur à la « Guerre sociale », organe de l’extrême gauche du parti socialiste, antiélectoraliste, Gustave Hervé, qui recommandait aux appelés de revolveriser leurs officiers, rejoint l’Union sacrée ! La CGT de Léon Jouhaux affirme : « Nous serons les soldats de la liberté » contre l’impérialisme néobismarckien et sa guerre de conquête. Le 4 août, le jour où l’on enterre Jaurès, les députés socialistes votent à l’unanimité les crédits de guerre. Le collectiviste Jules Guesde et le blanquiste Marcel Sembat entrent au gouvernement. La gauche invoque Valmy et Gambetta, le résistant de 1870.

Mais contrairement à une idée reçue, les pioupious savent que l’heure est grave et partent au front la mort dans l’âme plutôt que la fleur au fusil.

Inquiet par une certaine non-réactivité de la Grande-Bretagne, l’anglophile Johnny mise sur des conservateurs comme Winston Churchill, plutôt que sur le Labour, pour voler au secours de la France. Pour lui, l’Union sacrée ne signifie pas la haine du « Boche » mais la simple défense d’un territoire qui recevrait durant la guerre un milliard d’obus ! Gilles Candar écrit : « Longuet [dans « l’Humanité »] met en parallèle le sac de Louvain et le ravage du Palatinat par les troupes de Louis XIV pour condamner les excitations à la haine et au massacre des prisonniers allemands par la presse […]. Dans le même esprit, il relata l’anecdote contée par le “Vorwärts” d’une jeune fille française soignant un soldat allemand et écrivant à la fiancée de celui-ci, citée en exemple par le journal social-démocrate aux jeunes femmes allemandes. » Bientôt, Johnny militera pour que les soldats du Kaiser soient le mieux traités possible.

Dès le mois d’octobre 1914, lui et Renaudel, bien avant la conférence internationaliste de Zimmerwald, rencontrent, en secret et à Berne, les socialistes Kautsky et Bernstein. Ils croient encore à un sursaut pacifiste de leurs homologues allemands. Ils remettent le couvert, toujours à Berne, le 12 avril 1915. Ce sera leur ultime tentative…

Minoritaire, Longuet ne baisse les bras, qui s’inquiète déjà de l’annexion de l’Alsace-Lorraine – il faut consulter les populations, y compris germanophones –, de l’éclatement de l’Autriche-Hongrie, qui destabiliserait profondément la future Europe, de l’impérialisme tsariste, qui veut s’emparer du Bosphore, et s’indigne des massacres de masse des Arméniens.

En mai 1915, la fédération socialiste de Haute-Vienne exige de la direction de la SFIO qu’elle « tende une oreille attentive à toute tentative de paix, d’où qu’elle vienne ». Ne participent que deux cégétistes minoritaires, Merrheim et Bourderon, à la conférence de Zimmerwald, de septembre, à laquelle assistent 38 délégués de différents pays européens, dont Lénine – quant à Trotski, il sera un des rédacteurs du manifeste.

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L’Histoire a tourné pour Johnny. Cependant, député de Sceaux, il se préoccupe de ses mandants et accable notamment le ministre Albert Thomas de missives (« Vous allez me trouver bien rasant »). Il soutient les boulangères d’Arcueil-Cachan qui veulent un roulement des ouvriers boulangers au front, milite pour qu’on fournisse du tissu aux officiers pauvres, réclame une prime de 15 centimes pour les photograveurs et imprimeurs du service géographique des armées, réfléchit sur le sort des mutilés une fois la paix revenue : il faut leur garantir un emploi dans un service public ou une allocation d’État.

Petit à petit, sa position « centriste » gagne du terrain au sein de la SFIO. Johnny passe dans l’opposition en refusant d’adouber un nouveau cabinet Briand, en décembre 1916. Huit mois plus tard, les ministres socialistes quittent le gouvernement Clemenceau. En novembre triomphe le coup d’État bolchevique. La presse française voit en Lénine un agent du Kaiser (ce qui serait partiellement vrai puisque Vladimir Illich aurait rejoint dans son wagon blindé la Russie avec l’équivalent de six millions de dollars actuels en poche…). « Les Russes nous poignardent dans le dos ». La paix séparée de Brest-Litovsk de mars 1918 est perçue comme un « coup de folie » par la direction de la SFIO.

Très tôt inquiet quant au sort des prisonniers politiques dans la Russie nouvelle, Longuet est pourtant vu par l’Action française comme l’homme à abattre,  « l’ami des Boches », « le petit-fils à Gross-Papa », « l’ami de Lénine et de Trotski ».

Le 18 novembre 1919, à la Chambre, Longuet se lance dans un grand discours, lui qui en est avare, contre la ratification du Traité de Versailles, fécond de guerres à venir. Gilles Candar écrit : « La Librairie du Parti socialiste l’édita en brochure, sous le titre révélateur de la popularité croissante de la Révolution russe dans l’opinion militante, de “Contre la Paix impérialiste, pour la Russie révolutionnaire” » Brochure qui met en rage un Trotski n’appréciant guère le parallèle. Cependant pour Johnny, il s’agit de reconstruire l’Internationale mais dans un esprit démocratique et de respect des nations. La vague bolchevique qui entraîne aussi des anarchistes, des syndicalistes révolutionnaires, des socialistes de gauche balaie la « Vieille Maison ». Par 3208 voix contre 1022, lors du Congrès de Tours de décembre 1920, les socialistes adhèrent à la IIIe Internationale et créent la Section française de l’Internationale communiste, futur PCF.

Les bolcheviques français sauront se souvenir du petit-fils de Marx, ce « social-traître ». En 1936, il perd son siège de député face au maire stalinien de Bagneux. Il n’assiste au Front populaire qu’en tant que conseiller général du canton de Sceaux et maire de Châtenay-Malabry.

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Dès les années 1920, Johnny sort un peu de la vie politique nationale bien qu’il ait repris « le Populaire », fondé en mai 1916 par les dissidents de la fédération de Haute-Vienne. Il en fait un quotidien parisien du soir moins de deux ans plus tard. Un quotidien bientôt diffusé à 50 000 exemplaires (bien moins que « l’Humanité », passée aux mains des séides de Lénine). Dirigé aussi par Léon Blum et Paul Faure, « le Populaire » invente sa fête, à Garches, dès août 1919, préfigurant celle de « l’Humanité ».

Johnny commence à faire has-been avec ses montées au Mur des fédérés dans l’espoir de perpétuer les traditions de la gauche. Octobre rouge a vengé la Commune, voilà le modèle à suivre !

Alors, suivant l’exemple des socialistes autrichiens, Johnny s’illustre dans la gestion de sa bonne ville de Châtenay-Malabry, dont un de ses conseillers municipaux n’est autres que Jean Paulhan, animateur de la NRF. Élu premier édile en 1925, Longuet modernise la voirie, permet l’accès à l’eau courante et au gaz, organise l’enlèvement des ordures ménagères, réclame le prolongement de la ligne de Sceaux, développe les logements sociaux de la cité-jardin de la Butte-Rouge, crée des écoles, équipe la ville d’une piscine intercommunale et d’un stade. Inquiet par la montée du fascisme, il fait venir un certain Modigliani pour témoigner des ravages de la politique bientôt impérialiste du Duce.

Entre-temps, il préface d’innombrables ouvrages, où hommage est rendu à Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg, défend l’anarchiste Louis Lecoin, soutient Upton Sinclair et son « No pasarán ». Opposant discret mais de toujours, Johnny condamne la non-intervention en Espagne du gouvernement Léon Blum et cofonde, dès 1932, avec son fils Robert, la revue « Maghreb », qui milite pour les droits des peuples coloniaux à disposer d’eux-mêmes. Il est un des premiers à alerter sur les dangers des accords qui pourraient être signés à Munich. Sillonnant la France pour dénoncer la passivité devant le nazisme, il trouve la mort dans un accident de voiture, à Aix-en-Provence, le 11 septembre 1938, à l’âge de 62 ans. Dix-neuf jours plus tard les fameux accords infâmants sont paraphés.

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Johnny est inhumé auprès de son père, Charles, au Père-Lachaise. Robert les rejoindra en 1987 après une carrière de journaliste aux États-Unis émaillée d’une militance constante en faveur du Maroc et du FLN algérien.

Loin de mener le train de vie des Balkany, futurs parrains des Hauts-de-Seine justement, Jean laisse sa femme, Anita (son père était un admirateur de Garibaldi), dans la mouise et un pavillon toujours en location…

Petit-fils de Johnny, Karl-Jean Longuet (1904-1981) n’a pas vraiment fait de politique, bien qu’il ait été un grand résistant FFI après avoir travaillé au cinéma avec Alexandre Trauner et Louis Jouvet (excusez du peu). Sa passion, c’est la sculpture. Diplômé des Beaux-Arts, marié à la grande sculptrice non figurative Simone Boisecq (1922-1912), il travaille avec Brancusi dès 1948 et laisse une œuvre plus que consistante. Pour la Monnaie de Paris, il réalise notamment une médaille à l’effigie de son arrière-grand père Karl.

 

Exposition Karl-Jean Longuet et Simone Boisecq, De la sculpture à la cité rêvée - Eglise des Jacobins

Admiratif de l'oeuvre de Maillol et de Rodin, Karl-Jean Longuet montre un certain réalisme dans ses premières sculptures, aux volumes simples et monumentaux. La sculpture de Simone Boisecq, fascinée par les arts premiers et les paysages algérois et bretons de son enfance, se démarque à la fois de la description naturaliste, même simplifiée, et d'une abstraction purement géométrique.

http://www.officiel-galeries-musees.com

 

Simone et Karl-Jean ont eu deux filles, Frédérique, anthropologue, spécialiste du Caucase, et Anne, auteure d’essais sur la littérature et l’art.

Hans Beimler, emmasculé par la propagande de la RDA ; Jean Longuet, oublié des siens : les seules rues qui portent son nom se trouvent dans les villes de son ancienne circonscription. Deux dissidences. Un mutin et un héritier ne laissant qu’un maigre héritage, mais deux hommes de conviction quoi qu’on en pense. Après tout, ils ne sont pas si nombreux…

Après avoir échappé aux griffes de l’ours Staline, Johann Beimler, le fils de Hans, s’est réfugié au Mexique, où naît Hans Anthony, en juillet 1953, l’année de la mort du « Petit Père des peuples ». Il sera notamment le scénariste de la série « Fame » et de « Star Trek : The New Generation ».

Après tout, « Star Trek » ne répond-il pas lointainement aux Parisiens de la Commune « montant à l’assaut du ciel » ? Une formule épistolaire que l’on doit à un certain Karl Marx, grand-père de qui vous savez.

 

Bonus :

 

 Gilles Candar, Jean Longuet. Un internationaliste à l’épreuve de l’histoire, Rennes, PUR, 2007, 367 p.

 

Presses Universitaires de Rennes - Jean Longuet Un internationaliste à l'épreuve de l'histoire Gilles Candar

Petit-fils de Karl Marx, fils d'un communard proudhonien, neveu de Paul et Laura Lafargue, Jean Longuet est mêlé dès son plus jeune âge à la vie de la gauche politique et intellectuelle française comme à celle du socialisme international.

http://www.pur-editions.fr

 

  •  “Fame”


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