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Avec accusé de déception
6 février 2018

Momo, “Juste” pas un collabo

« Tout ce qui n’est pas donné
ou partagé est perdu. »

Proverbe tsigane.

 

Ce n’est pas pour faire mon malin, mais, en tant qu’ancien boxeur amateur, Maurice Chevalier n’a pas dû apprécier le coup bas de Marcel Ophüls. Dans « le Chagrin et la Pitié », sorti en 1971, le fils du génial Max, juif allemand de son état, intègre la séquence où Momo s’exprime en anglais en direction du public américain. Chevalier évoque les fausses rumeurs concernant sa prétendue mort : tué à la fois par les Allemands, les « patriots » (à savoir les résistants), les miliciens. « Je me porte bien pour un type qui a été fusillé trois fois. » Il explique qu’il n’a jamais fait de tournée en Allemagne mais qu’il a bien chanté dans le camp où il avait été lui-même détenu, en 1914-1916, près de Berlin, histoire regonfler le moral des prisonniers français.

Seulement voilà, l’impression de malaise s’installe sur la pellicule et chez le spectateur quand « Fleur de Paris » retentit, manière d’hymne de la Libération chantée par le gavroche de Ménilmuche, condamné à mort depuis Alger en mai 1944…

On peut être un cinéaste doué et affable comme Marcel Ophüls et parfois se mal comporter…

(Proche de l’ex-officier US Marlene Dietrich, qu’il accompagnait parfois « aux gouines» dans le Paris de l’après-guerre, le fils de Max aurait dû savoir que l’Ange bleu conservait toute son amitié à Chevalier. S’il avait été collabo, cette antinazie de la première heure la lui aurait retirée…)

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Toute cette lamentable affaire a donc commencé avec son coup de foudre pour la belle Nita Raya, artiste de son état, partenaire à l’écran ou sur les planches de Raimu, Fernandel, Tino Rossi, Edwige Feuillère, Madeleine Renaud.

Nous sommes en 1935. Revenu des États-Unis, des déceptions sentimentales et de son divorce, Maurice écrit ceci sur Nita qu’il découvre sur scène :

« Elle y jouait un rôle de second plan avec tant de simplicité et elle était d’une si juvénile beauté que mon intérêt masculin, un peu trop au repos depuis mon retour d’Amérique, se mit à rebondir. Elle avait dix-neuf ans. Très belle, brune, superbe plastique et dominant toute cette féminité, une grâce, une gentillesse naturelle qu’agrémentait encore une intelligence peu commune chez un semblable “poulet de grains”. Une sorte de complexe d’infériorité que je lui sentis dès notre entrée en conversation la rapprocha encore plus de moi et nos premières entrevues, toutes platoniques, mais si fraîches et agréables, m’apprirent que mon cœur, si largement mis à contribution au cours de mon existence amoureuse, avait, malgré tout, gardé un coin tout neuf pour un sentiment d’une qualité encore inconnue. Elle respirait la vraie jeunesse. L’atmosphère des coulisses n’avait pas encore eu le temps de la flétrir et l’avait seulement déniaisée. Elle était une surprise, une apparition dans ma vie… Je n’avais jamais rencontré dans le monde artistique un alliage si inconcevable de beauté, d’esprit et de modestie. »

Lambeth walk Nita Raya

Le couple file le parfait amour. Maurice triomphe avec Nita au « Casino de Paris » dans la revue «Lambeth Walk ».

À Cagnes-sur-Mer, Nita et lui dînent chez le duc et la duchesse de Windsor (par ailleurs proche des nazis…) quand ils apprennent l’invasion surprise de la Pologne. Ils rentrent aussitôt à Paris. Bientôt Maurice et Joséphine Baker partent en représentation au front. Entre-temps, Chevalier a mis la famille  de Nita (juive, rappelons-le) à l’abri, à Arcachon. La guerre avançant, notre couple et Joséphine sont hébergés à Mauzac, en Dordogne, chez des amis danseurs, Myrio et Desha Delteil.

Après la débâcle de juin, Nita et Maurice demeurent en zone libre, refusant de rejoindre Paris comme les autorités d’occupation les en exhortent.

De Hollywood, Charles Boyer presse Chevalier de revenir en Amérique. Quand on sait que Claude Lévi-Strauss, André Breton, Victor Serge ou Benjamin Péret ont réussi à quitter la France, on se dit que Maurice y serait parvenu encore plus aisément, vu ses relations et son compte en banque. Momo répond à Charles : « Quand la mère est malade, ses fils ne doivent pas partir. »

En zone libre, il multiplie les galas de bienfaisance au profit des prisonniers de guerre, et faute d’auteur se met à écrire lui-même de nouvelles chansons.

En 1941, la presse collaborationniste l’accuse de bouder la capitale et de demeurer dans le Midi « avec ses juifs ».

En septembre de la même année, il remonte enfin à Paris. Il est la dernière vedette à le faire.

Aux micros tendus, il déclare souhaiter bientôt chanter dans une France en paix. Ses propos sont bien sûr déformés : «  Le populaire Maurice Chevalier qui va chanter en France occupée nous dit qu’il souhaite la collaboration entre les peuples français et allemand. » Collaboration… Révolté, Maurice fait publier un démenti dans le journal « Comœdia ». Trop tard…

Il a beau décliner l’offre d’une tournée en Allemagne, il se décide quand même à chanter deux fois dans le camp d’Altengrabow. Ce que la presse collaborationniste ne dit pas, c’est que non seulement il refuse tout cachet mais encore il demande la libération de dix prisonniers. Qu’il obtient.

À Londres, il se murmure que Maurice est pétainiste, en août 1942, l’hebdomadaire américain « Life » le couche sur une liste de collabos à fusiller ! Le mois suivant, il se produit dans un « Casino de Paris » menacé par la faillite. Il a coécrit  « Pour toi, Paris », où figure la célèbre « Marche de Ménilmontant ».

Début 1943, sa BA accomplie, il décide de ne plus chanter en public jusqu’à la Libération de la France.

Maurice fait parvenir de faux papiers à la famille de Nita, terrée à Nice. Fin 1943, René Laporte, écrivain et journaliste résistant, lui signifie que ses passages au micro de Radio Paris («…ment, Radio Paris allemand… ») pourraient lui valoir d’être exécuté par les maquisards. Vient « naturellement » le 12 février 1944, quand Pierre Dac en fait un « mauvais Français »… (n'hésitez pas à refaire un petit tour sur le précédent post, clic clic ici)

Laporte entre en contact avec Dac et défend Maurice, ainsi que Francis Leenhardt et l’acteur René Lefèvre, alors à Nice. Les attaques de Dac cessent immédiatement.

Maurice remonte à Paris pour enregistrer deux chansons avant de partir se cacher avec les siens en Dordogne.

Dans un entretien du 17 octobre 1946 au journal « Jeudi-Cinéma », Nita Raya racontera « les journées et les nuits épouvantables qu’il a passées, non parce qu’il avait peur pour lui, mais parce qu’il s’était fait un devoir de sauver quelques êtres que le destin avait mis sur sa route».

 En août 1944 courent les premières rumeurs sur la mort de Chevalier. Hébergé à Cadouin par des amis, il reçoit la visite enfouraillée de maquisards. Pour éviter que ses hôtes soient molestés, il se rend pour être interrogé à Périgueux. Coup de chance, le commandant de la résistance est un môme de Ménilmontant. Ce que n’est pas « Doublemètre », autre maquisard, qui déplore qu’on doive l’interroger avant de le fusiller. Maurice est vite libéré, rejoint Cadouin puis Toulouse la rouge. Il joue gros dans ce fief tenus par les communistes de toutes nationalités et les anarchistes espagnols. Mais Momo aussi est internationaliste, qui a des relations outre-Manche. Escorté par des aviateurs britanniques, il donne une interview au « Daily Express ». Pour une partie de l’opinion publique mondiale, Maurice est blanchi.

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« De retour en France, écrit Jacques Pessis, légataire universel du roi des loufoques, Pierre Dac va rencontrer Chevalier à Toulouse. Ils s’expliquent, tombent dans les bras l’un de l’autre, et Dac promet de témoigner en sa faveur devant le comité d’épuration. Ce qu’il a fait. »

Maurice donne alors à la Paramount News l’interview que Marcel Ophüls utilisera dans son film.

Louis Aragon, dont la femme, Elsa Triolet, est une inconditionnelle de Maurice, écrit un papier dans « Ce soir » où il prend la défense du chanteur de la classe ouvrière, qu’il convie à monter au Mur des fédérés avec les représentants du « parti des fusillés ». Momo accepte, il signera même l’Appel de Stockholm pour remercier le Parti communiste. La foule est en liesse au Père-Lachaise. Le public a toujours été de son côté de toute façon. Mais pas toute la presse, pour qui c’est bon de se payer un Chevalier, surtout quand on n’a pas forcément la conscience tranquille.

« De quoi m’accuse-t-on, en résumé ? De choses que les vrais Français ne retiennent pas. Que je croyais à Pétain au début de son règne. Qui n’y croyait pas ? Je vous le demande, chez nous, et même ailleurs, puisque des ambassadeurs d’Amérique, de Russie, et de partout, le voyaient intimement, chaque jour, à Vichy. Que j’ai chanté onze fois à Radio-Paris, en quatre ans. Alors qu’on insistait pour que je chante hebdomadairement. Que serait-il arrivé si j’avais refusé catégoriquement ? Vous le savez aussi bien que moi : une visite un matin, de très bonne heure. Moi et ma petite famille envoyés Dieu sait où !»

Maurice est tout de même convoqué le 1er décembre 1944 devant le comité d’épuration. Mais Pierre Dac est là aussi. Chevalier est derechef innocenté.

Fin mars 1945, il crée « Fleur de Paris ».

En février 1949, le même comité publie la liste noire des artistes suspectés. À la ligne, Maurice Chevalier, il est écrit : « pas de sanction ».

Seulement accompagné par son pianiste (une première dans le monde des variétés), il triomphe sur les planches du monde entier.

Nita le quitte pour Francis Lopez, le grand compositeur d’opérettes – lequel dira d’elle que c’est « une machine à faire rêver, involontairement, ce qui est pire ».

Entre deux galas de bienfaisance, Momo se lance dans l’écriture. Comme le fera Nita, parolière pour Édith Piaf après avoir été meneuse de revue aux « Folies-Bergère ».

Le premier tome des Mémoires de Chevalier rencontre un énorme succès, tant public que critique. Dans « le Figaro », on peut lire sous la plume de Jean Blanzat : « S’il est rare de voir un artiste célèbre aussi naturellement à l’aise dans un autre art que le sien, il est plus rare encore de voir un écrivain à l’aise devant son sujet lorsque ce sujet est sa propre vie. Voilà sans doute ce qui frappe le plus dans ses mémoires. »

Times are changin’. René Clair lui propose dans « Le silence est d’or » un rôle de senior éconduit par la jeune femme qu’il aime.

« J’ai confiance car je suis dans la logique et la vérité. Un homme de cinquante-huit ans est, de toutes les manières, un homme de cinquante-huit ans. J’ai été le plus jeune des jeunes, puis le représentant des jeunes, puis le plus vieux des jeunes. Je serai, si Dieu le veut, le plus jeune des vieux. »

Nita Jerkovitch s’est éteinte à Trégastel le 25 mars 2015, à l’âge de 99 ans.

Jacques Pessis écrit : « Maurice n’a pas besoin d’être réhabilité, mais de retrouver la place qu’il mérite dans le panthéon des artistes. Je veux faire redécouvrir le chanteur par la nouvelle génération qui ignore tout de lui. Ses disques sont très anciens et les images sont en noir et blanc. J’en veux pour preuve cet appel téléphonique qui remonte à trois ans. Une jeune attachée de presse me laisse le message suivant sur mon répondeur : “Nous organisons un spectacle dans un théâtre où Maurice Chevalier a chanté. Nous aimerions qu’il vienne. Pouvez-vous me dire comment le contacter ?” Je l’ai rappelée et lui ai expliqué qu’il n’était pas disponible car il avait pris une année sabbatique et faisait le tour du monde avec Mademoiselle Mistinguett. J’ai vérifié : elle m’a cru et a fait un rapport en ce sens. Conclusion : ma tâche est encore longue et difficile... » 

Sur sa tombe, on peut lire : « Maurice Chevalier, artisan de France ».

Excellent artisan. 

Bonus musical :

  • Valentine

 

  • With Bing Crosby

 

 

Et une petite lecture :

 

Dans la vie faut pas s'en faire | Lisez!

Dans la vie faut pas s'en faire, de Maurice CHEVALIER (Auteur). Soixante-dix ans de scène : les mémoires du plus célèbre des artistes du music-hall du XXe ...

https://www.lisez.com

 

 

 

 

 

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