Joana brasileira
« Raconter, c’est résister »,
Guimarães Rosa,
écrivain brésilien
(1908-1967)
Ce n’est pas pour faire mon malin, mais je ne voudrais pas jouer les ambassadeurs d’Arménie en Suisse, à savoir Charles Aznav…, et entamer une nouvelle tournée d’adieu. Cependant la disparition de Jeanne Moreau, le 31 juillet dernier, m’oblige à ajourner mes vacances blogofériennes pour lui rendre hommage par le truchement de ma seconde « patrie », le Brésil.
Jeanne la Brésilienne, claro que sim !
« Quelle histoire » est un samba écrit par Antoine Duhamel (fils de Georges), le compositeur de la Nouvelle Vague (Baisers volés, Domicile conjugal, La Sirène du Mississippi, L’enfant sauvage, Pierrot le fou…).
« Ce soir, je ne suis pas farouche, prise au piège comme une mouche… »
Résultat :
Cet homme est là à mon réveil
Dehors il fait déjà soleil
Nous reprenons notre entretien
Ce n’est pas un théoricien
Quel est son nom, je n’en sais rien
Mais je crois qu’il est Brésilien
En 1973, Jeanne Moreau devient Joana francesa pour le film éponyme de Cacá (Carlos) Diegues. Nous sommes en octobre 1930, Jeanne est une tenancière de claque à São Paulo. Elle accepte la proposition du coronel Aureliano de partir s’installer avec lui dans sa plantation en ruine au fin fond du Nordeste, en ruine lui aussi.
Dans ce long métrage franco-brésilien, on aperçoit Pierre Cardin, qui fut le compagnon de Jeanne à la ville.
Cacá Diegues confie à Chico Buarque de Holanda l’écriture de la chanson « Joana francesa ». Si Francisco est auteur, compositeur, interprète, dramaturge, écrivain, il n’est pas acteur bien qu’il ait participé mais en jouant son propre rôle au film « Garota de Ipanema » au côté de Tom Jobim, Vinícius de Moraes, Nara Leão (qui reprendra d’ailleurs avec force talent « Joana francesa »).
De retour d’exil volontaire en Italie, Chico va beaucoup écrire pour le cinéma, notamment « O que será » pour le film « Dona Flor e seus dois maridos » en livrant trois versions différentes de cette chanson qui sous la plume troubadouresque de Claude Nougaro deviendra « Tu verras ».
Tout d'abord, Jeanne dans Les amants. Puis avec Pierre Cardin
Faux timide, Chico se rappelle comment il a présenté à Jeanne Moreau sa chanson, qu’elle accepta d’emblée. Lui était bouleversé : quand il parlait (en français) avec elle (il maîtrise admirablement notre langue même si à l’époque il n’habitait pas encore l’île Saint-Louis), il ne voyait que l’héroïne sulfureuse des « Amants » de Louis Malle, qui a troublé la fin de son adolescence bohème entre Rio et São Paulo.
Dans « Jeanne la Française », Chico mélange nos deux langues et son « acorda, acorda, acorda… » (« réveille-toi ») se métamorphose en « d’accord, d’accord, d’accord ».
Tu ris, tu mens trop
Tu pleures, tu meurs trop
Tu as le tropique dans le sang et sur la peau
Gémis de folie et de torpeur
Le jour se lève déjà
Réveille-toi, réveille-toi
Fais-moi mourir de rire
Parle-moi d’amour
Songes et mensonges
J’en sais long, je le sais par cœur
Gémis de plaisir et de terreur
Le jour se lève déjà
Réveille-toi, réveille-toi
Viens mouiller mon giron
Je vais te consoler
Viens, métis tout doux, danser dans mes bras
Viens, gamin, m’expliquer
Où se trouve ton soleil, ta braise
Qui m’a ensorcelée ?
La mer, marée, bateau
Tu as le parfum de l’alcool de canne et de la sueur
Gémis de paresse et de chaleur
Le jour se lève déjà
Réveille-toi, réveille-toi
Jeanne :
Chico :
Son ami Orson Welles, avec qui Jeanne a notamment tourné « Falstaff » en 1965 et en anglais (la langue maternelle de sa mère), a beaucoup usé de pellicule au Brésil pendant la guerre. En 1942, il réalise « It’s All True », film documentaire inachevé et commandité indirectement par Washington, inquiet d’un éventuel rapprochement du Brésil de Vargas avec Hitler et Mussolini. Grand amateur de culture noire et de rhum blanc, Mister Welles a filmé le carnaval de Rio comme personne !
Jeanne Moreau avec Orson Welles dans "Falstaff" source ici
Quand on demandait à Jeanne Moreau quelle était la plus belle scène d’amour fou au cinéma, elle répondait : « C’est dans le film d’Hitchcock “Notorious” (“les Enchaînés”). Ce fameux baiser, en fait une série de baisers entre Cary Grant et Ingrid Bergman, alors qu’ils sont en danger de mort tous les deux. Car c’est l’absence d’amour qui fait naître la peur. »
« Les enchaînés » se déroulent dans la Ville merveille, Rio de Janeiro, déjà nids d’espions nazis avant Jean Dujardin…
Jeanne Moreau, que la terre vous soit légère !
Sua vida foi linda…
Vous vivrez, jusqu’à la rentrée, une époque post-moderne et je n’aimerais pas être à votre place.
Bonus
Rien que pour Elle et vous...