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Avec accusé de déception
2 août 2017

Trois prolos, trois destins américains

 « Raconter, c’est résister »,

 Guimarães Rosa,

écrivain brésilien

 (1908-1967)

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Marcelle, Bruce Spingsteen avec sa soeur et Joe Hill

Ce n’est pas pour faire mon malin, mais quand ma grand-tante Marcelle, fraîchement mariée à un soldat étatsunien, s’est installée dans la moiteur de la Floride, Joe Hill était déjà mort depuis au moins quatre ans.

Joe Hillström a été fusillé en novembre 1915.

Et puisque tout finit par des chansons dans nos francophones contrées, terminons la saison par un clin d’œil à la camarade Isabelle P. , qui aime le Boss, lequel chante dans la ville de Tampa, celle de ma grand-tante, « Joe Hill » d’Alfred Hayes et Earl Robinson (deux communistes orthodoxes ou presque chantant un anarchiste joyeux et souriant !).

« Joe Hill », un classique de la protest song, immortalisé notamment par Joan Baez à Woodstock.


Le vrai Joe Hill était lui-même un troubadour de la révolution sociale. Celle voulue par les wobblies, les militants libertaro-marxistes (ou non) des IWW, Industrial Workers of the World.

Marcelle, Bruce, Joe, trois prolos qui ont vécu leur rêve américain différemment.

  • Un rêve de femme au foyer libérée du travail à l’usine.
  • Un rêve de musique pour désennuyer ses contemporains (« Est-ce qu’un rêve est un mensonge s’il ne se réalise pas ? »).
  • Un rêve de société humaine (même si ça ne sera pas facile : « Je me console en me souvenant que le pire est encore à venir »).

En 1915, l’immigré suédois Joe Hillström est accusé du meurtre d’un commerçant à Salt Lake City, Utah. À l’époque, « grâce » à l’Espionage Act, les wobblies et socialistes sont assez vulnérables.

Sans preuves, Joe est condamné à mort.

Le verdict déclenche un immense mouvement populaire. Sa prison se retrouve gardée par des miliciens équipés de mitrailleuses. Salt Lake (50 000 habitants) est le théâtre d’une manifestation monstre. Partout dans le pays, ça branle dans le manche.

Du fond de son cachot, Joe conserve un solide sens de l’humour : « Je ne tiens pas à être retrouvé mort dans l’Utah. »

lastwill

Manuscrit original découvert en 2007 dans les archives du PC 

 Mon testament est facile à régler,

Puisqu’il n’y a rien à se partager.

Mes proches n’iront pas se plaindre en douce

« Pierre qui roule n’amasse pas mousse ».

Mon corps ? Ah, si je pouvais choisir,

C’est en cendres qu’il faudrait le réduire,

Pour le laisser flotter au gré du vent

Qu’il aille se disperser dans un champ.

Peut-être quelque fleur fanée alors

Reviendra à la vie pour éclore encore.

Ce sont mes volontés dernières et ultimes.

Bonne chance à chacun d’entre vous.

 

Dans sa lettre d’adieu à Big Bill Haywood, un des fondateurs des IWW, il écrit ces deux fameuses phrases : « Don’t waste any time in mourning. Organize ! » « Ne perdez pas de temps en lamentations. Organisez-vous ! » Transformées en un slogan qui fera le tour du monde :

 

863680069

 

« Don’t mourn, organize ! »

Après cet « assassinat légal », de secondes funérailles sont organisées à Chicago. Ce sont les plus importantes jamais vues dans tout le mouvement ouvrier étatsunien.

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Funérailles de Joe Hill

Les cendres de Joe sont réparties dans de petites enveloppes distribuées à des militants libertaires à travers le pays mais aussi le monde… Franklin Rosemont écrit : « Le 1er Mai 1916, selon les dernières volontés de Joe, ses cendres sont dispersées au gré du vent aux quatre coins de la planète. »

I never died, says he 

Joe Hill, c’est un peu un deuil sans fin et heureusement pour les vivants !

Même dans son pays d’origine, il n’est pas oublié. En 1979, la Suède fait imprimer des timbres-poste commémoratifs. (Ce qui n’empêchera pas les néonazis locaux de faire sauter sa maison natale à Gävle, vingt ans plus tard.)

En 1980, Thomas Babe lui consacre une pièce de théâtre, « Salt Lake City Skyline », représentée à Broadway. Quatre ans plus tard, une pétition qui recueille des milliers de signatures est présentée au gouverneur de l’Utah. Pas de réhabilitation car « l’affaire n’était pas claire ».

En attendant, Joe a été clairement fusillé.

En 1985, Carlos Cortez organise une exposition itinérante : « Wobbly, 80 ans d’art rebelle », où l’on peut voir pour la première fois les dessins de Joe.

torrent

Torrent (antérieur à 1902)

La biographie que Gibbs Smith consacre au barde wobbly en 1969 est un succès. Quant au « Joe Hill » de John McDermott, c’est carrément un best-seller.

Le cinéma ne l’a pas non plus oublié. Bo Widerberg sort en 1971 un film sur le martyr de Salt Lake qui représente la Suède au Festival de Cannes.

En 1970, John Lennon chante « A Working Class Hero is something to be » :

 

There’s room at the top they are telling you still

Ils ne cessent de te dire qu’il y a de la place en haut

But first you must learn how to smile as you kill

Mais tu dois d'abord apprendre à sourire en tuant

If you want to be like the folks on the hill

Si tu veux ressembler aux gens sur la colline

En juin 1985, par exemple, Bruce profite de sa tournée européenne pour remettre un chèque de 10 000 dollars à Mme Peycelon, adjointe au maire de Saint-Étienne, en faveur des chômeurs de la ville. Dans un même élan, il offre 20 000 livres aux femmes des mineurs en grève, ce qui lui vaut d’encourir les foudres de Margaret Thatcher.

Met avis que le petit-fils de Marcelle n’aurait pas signé la pétition susmentionnée ni soutenu la plus longue grève jamais vue en Angleterre. Officier dans la Navy, Joey a participé à la guerre du Vietnam.

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Joey, 

Quel était son rêve d'enfant américain ? ...

 

Guerre à laquelle le Boss et sa band of brothers ont échappé en se faisant copieusement réformer. Un rocker a autre chose à faire que d’aller tuer des « yellow men », even though he was BORN IN THE USA.

Hymne des vétérans antiguerre.

Il y a quelques mois, Bruce était sur un yacht avec Barak Obama. Comment empêcher l’arrivée de Mickey Trump à la Maison blanche ?

Les politiciens aiment bien s’afficher à ses côtés. C’est un héros de la classe ouvrière du New Jersey qui « vit tout en haut en regardant en bas », une star anonyme et dépressive qui n’est pas absente aux autres.

Bruce a dénoncé les crimes raciaux au prix de se faire inquiéter par certains policiers radicalisés.

diallo20n-6-web

La chanson « Forty-one shots » nous rappelle la mort d’Amadou Diallo, abattu, en février 1999, par quatre policiers du Bronx qui, alors qu’il sortait son portefeuille, ont pris ce dernier pour une arme. Quarante et une balles tirées. Dix-neuf ont atteint le jeune immigré guinéen…

Ma grand-tante Marcelle, paix à son âme, s’est plutôt bien intégrée à la société sudiste. Elle se vantait d’accueillir de braves « Négresses » qui, contre quelques dollars, se tapaient les lessives à la main.

Elles demeuraient dans le coton, en sommes.

Vérité en deçà du XIIIe arrondissement, erreur au-delà…

Ah oui ! les IWW étaient le seul syndicat à accepter à hauteur d’homme des descendants d’esclaves. C’est peut-être pour cela que « Joe Hill » est une manière de gospel.

Bonnes vacances !

À l’époque de Joe Hill et de Marcelle Fischer, les prolos n’en avaient pas.

Les paroles, avant d’écouter the Boss ?

I dreamed I saw Joe Hill last night

J’ai rêvé avoir vu Joe Hill la nuit dernière

Alive as you and me

Vivant comme vous et moi

Says I “But Joe, you’re ten years dead”

J’ai dit “Mais Joe, tu es mort il y a dix ans”

“I never died” says he

“Je ne suis jamais mort” a-t-il répondu

 °

In Salt Lake, Joe, says I to him

À Salt Lake, Joe, lui dis-je

Him standing by my bed

Lui debout près de mon lit


They framed you on a murder charge

Ils t’ont fait tomber pour une affaire de meurtre


Says Joe, but I ain’t dead

Joe a dit “Mais je ne suis pas mort”

° 

“The copper bosses killed you, Joe

“Les patrons du cuivre t’ont tué

They shot you, Joe” says I

Ils t’ont abattu ” ai-je dit

“Takes more than guns to kill a man”

“Il faut plus que des armes pour tuer un homme”

Says Joe “I didn’t die”

Joe a dit “Je ne suis pas mort” 

 °

And standing there as big as life

Se tenant là, comme plein de vie

And smiling with his eyes

Et souriant avec ses yeux

Says Joe “What they can never kill

Joe a dit “Ce qu’ils ne pourront jamais tuer

Went on to organize”

A continué à s’organiser”

° 

“Joe Hill ain’t dead” he says to me

“Joe Hill n’est pas mort

“Joe ain’t never died

“Joe Hill n’est jamais mort

Where workingmen are out on strike

Quand les travailleurs se mettent en grève

Joe Hill is at their side”

Joe Hill est à leur côté”

° 

From San Diego up to Maine

De San Diego jusque dans le Maine

In every mine and mill,

Dans toutes les mines et les usines

Where workers strike and organize”

Où des travailleurs font grève et s’unissent

Says he “you’ll find Joe Hill”

Il dit “vous trouverez Joe Hill” […]

 

(Il existe plusieurs versions du texte.
Bruce ne chante pas exactement celle-ci…)

 

Place au Boss !

 

Vous vivez une époque post-moderne et je n’aimerais pas être à votre place.

 

Bonus 

À écouter en pot-de-cast sur France Culture :

"Est-ce qu'un rêve est un mensonge s'il ne se réalise pas ?"

C'est un vers tiré de la chanson The River. Un fondement à tous ses textes et une question posée depuis longtemps au rêve américain. Mais depuis le 11 septembre 2001, Springsteen est entrée dans l'arène politique, comme s'il n'avait plus le choix.

https://www.franceculture.fr


 et Mam'zelle Pirate ne peut pas s'empêcher de mettre son grain de sel et de vous mettre cette chanson que Reagan a tenté de s'appropier. Le Boss l'a sommé d'arrêter ça tout de suite ! Il a baissé les yeux le répubicain... 

Les paroles, histoire de lever toute ambiguïté sont par ici.

 

 

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Commentaires
T
La chanson "Forty-one Shots" me donne encore la chair de poule même après l'avoir entendue une centaine de fois..
Répondre
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