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Avec accusé de déception
27 juillet 2017

“Moi ici, j’ai pris mon PARTI des brimades, mon camarade*”

 « Raconter, c’est résister »,

 Guimarães Rosa,

écrivain brésilien

 (1908-1967)

Ce n’est pas pour faire mon malin, mais la révolution d’Octobre, qui a eu lieu en novembre (selon notre calendrier grégorien), a peut-être bien débuté en juillet. Et je n’écris pas cela parce que le Gouvernement provisoire avait ouvert la chasse aux bolcheviques : on disait Lénine agent du Kaiser. On verrait Illitch Oulianov s’enfuir en Finlande.

Non, je pensais plutôt à Maria Spiridonova, leader des socialistes-révolutionnaires, très populaires dans les campagnes russes.

Maria Spiridonova maria-spiridonova_4-t maria-spiridonova_3-t

Maria Spiridonova seule, avec d'autres femmes révolutionnaires et en prison

Quand Maria apprend que le 12 juillet que la peine de mort a été rétablie pour les crimes militaires, « l’Ange féminin de la vengeance » entame une violente campagne contre ce « meurtre judiciaire organisé », l’abolition de la peine capitale ayant toujours été pour les S-R un enjeu primordial. Les militaires S-R ruent dans les brancards, Maria est arrêtée, son parti lâche Kerenski et se rapproche des bolcheviques. On connaît la suite, les S-R de gauche gouverneront un temps avec les séides de Lénine.

Pas mal pour une hystérique. Eh oui ! c’est ainsi que Lénine la qualifiera. En général, quiconque ne pense pas comme lui est forcément un déviant. « L’hystérie est le symptôme de l’impuissance petite-bourgeoise braillarde, qui refuse la discipline et gesticule au lieu de marcher au pas de l’oie de la loi du parti », écrit Dominique Colas dans « le Léninisme » (PUF, 1982), petit livre rouge indispensable pour comprendre une des grandes tragédies du XXe siècle.

lénine puf Colas la terreur sous Lénine

En attendant, constatons avec Jacques Baynac, auteur notamment de « la Terreur sous Lénine » (Le Sagittaire, 1975), que la Camarde n’a pas chômé sous le régime bolchevique. Bien sûr, Lénine n’a pas inventé la violence venue d’en bas et des « blancs » aussi, mais a appelé de ses vœux l’ensauvagement de la société : « Les terroristes vont nous prendre pour des chiffes molles. Il faut encourager l’énergie et la nature de masse de la terreur. »

Deux mois après le coup d’État bolchevique est promulgué le décret – tenu sept ans secret – portant création de la vétchéka (Commission extraordinaire panrusse), la Tchéka, « institution autocréatrice, précise Dominique Colas, car elle crée l’ennemi à détruire ». Le premier camp de concentration ouvre en août 1918 grâce à Trotski. On en dénombrera 56 quatre ans plus tard. Les 30 000 tchékistes que compte « la patrie du socialisme » en abattent, des basses-œuvres. Si la Révolution de 1905 a fait aux alentours de 20 000 morts, la terreur rouge déclenchée par Lénine en fera cinquante fois plus. Jacques Baynac écrit : « La terreur a officiellement duré dix-neuf mois et demi (septembre 1918-15 janvier 1920), ce qui donne une moyenne annuelle de 1,5 million de morts. Si l’on voulait polémiquer, on pourrait affirmer que sous Lénine l’intensité de la terreur était le double de celle régnant sous Staline “en vitesse de croisière”. »

Pour Lénine, ceux qui critiquent la Tchéka légitiment son existence. Et puis un bon communiste est un bon tchékiste.

1922-gavril_myasnikov Shliapnikov-alexander Georgi_Plekhanov

Gabriel Miasnikov, Alexander Chliapnikov et Georgi Plekhanov

Après les « blancs », les mencheviks, les anarchistes, les S-R de gauche, les marins de Kronstadt, les cosaques makhnovistes, les léninistes s’en prennent aux bolcheviques dissidents, à commencer par ceux de l’Opposition ouvrière : Miasnikov, « le seul grand dirigeant bolchevik à disposer d’une authentique expérience du travail ouvrier en usine » (dixit Marc Ferro) a, en 1921, l’outrecuidance de réclamer la liberté de la presse « depuis les monarchistes jusqu’aux anarchistes».

Puis ce sera le tour de Chliapnikov, toujours de l’Opposition, qui prône l’affermissement de la démocratie par un accroissement du pouvoir des syndicats face au Parti. En mars 1921, au Xe Congrès du Parti ouvrier social-démocrate russe, il taquine Lénine qui se lamente sur la quasi-disparition de la classe ouvrière pendant la guerre civile : « Eh bien, camarade Lénine, je vous félicite d’exercer le pouvoir au nom d’une classe qui n’existe pas ! »

Qu’importe puisque la classe ne peut exister sans le parti. Et puis Lénine n’a-t-il pas inventé la post-vérité ?

« La vérité léniniste, écrit Colas, dépend non de l’adéquation de l’énoncé avec le réel, mais de la position de classe de l’énonciateur. »

Prenez l’exemple d’un ouvrier russe antisémite (et il y en avait !). Incarnation du prolétariat, Vladimir Illitch répond au déviant qui prétend qu’un ouvrier peut détester les juifs qu’il divague. Un vrai ouvrier, un ouvrier de la grande industrie (les autres comptent moins), ne peut être que procommuniste. Or les bolcheviques ne sont pas antisémites (et pour cause !). Donc le prolo qui hait les juifs ne peut être qu’un « élément retardé », qu’il faudra bien rééduquer.

« L’histoire du mouvement communiste est [donc] l’histoire d’une série de purges », écrit Dominique Colas. Pour lui, « le stalinisme n’est que la prolongation du léninisme sans coupures essentielles », « une variante pas une déviation ». Oh ! bien sûr Lénine n’a pas toujours été léniniste. Si vous lisez le petit livre rouge de Colas, vous goûterez le passage où, amoureux dépité de Plekhanov (le grand gourou de la « science » marxiste russe) Vladimir, en août 1900 à Genève, tue le père et devient un monstre froid au cœur d’airain comme Plekhanov l'était.

N’aimer personne, ne faire aucune concession, c’est ainsi qu’on se fait aimer.

En 1904, un jeune socialiste à l’épaisse tignasse, assimile Lénine à un Robespierre moderne (personnellement, j’aurais quelques réserves…).

« La méthode [des jacobins] était de guillotiner les moindres déviations, la nôtre est de dépasser théoriquement et politiquement les divergences. Ils coupaient les têtes, nous y insufflons la conscience de classe.

Les jacobins enfonçaient entre eux et le modérantisme le couperet de la guillotine. La logique du mouvement de classe allait contre eux, et ils s’efforçaient de la décapiter. Folie : cette hydre avait toujours plus de têtes […]. Les jacobins se “purifiaient” en s’affaiblissant. La guillotine n’était que l’instrument mécanique de leur suicide politique.

[Entre les sociaux-démocrates et les jacobins] deux mondes, deux doctrines, deux tactiques, deux mentalités, séparés par un abîme...

Il ne fait aucun doute que tout le mouvement international du prolétariat dans son ensemble serait accusé par le tribunal révolutionnaire [de Lénine] de modérantisme, et la tête léonine de Marx serait la première à tomber sous le couteau de la guillotine. »

Ce jeune menchevik n’est autre que… Trotski en personne !

(Comme quoi, y en a qui se radicalisent en vieillissant…)

 troski

Alors que nous enseigne Dominique Colas du léninisme ?

(Attention les connexions neuronales vont chauffer !)

Le parti léniniste est un dispositif producteur d’hystérie.

Un cri ne dit rien. L’hystérique est celui qui conteste le maître.

L’hystérique est celui qui ne succombe pas ou plus à l’hypnotiseur Lénine.

Un vrai révolutionnaire n’a ni états d’âme ni sentiments.

Les opposants n’ont aucune valeur.

Toute parole qui ne répète pas celle de Lénine est nulle, vidée de sens, à jamais exilée de la réalité.

Lénine constitue le prolétariat : « Il serait fou celui qui parlerait à Dieu au nom de Dieu. »

(My godness, on dirait du Orwell !)

La politique est une affaire de forces et non de phrases.

La force seule peut résoudre les grands problèmes historiques.

La guerre civile est non seulement inéluctable mais désirable.

Le mépris de la mort doit se répandre parmi les masses et assurer la victoire.

Le parti n’est pas un club de discussion.

Le parti n’est pas le produit de la classe mais la classe est le produit du parti démiurge. Le prolétariat n’est rien sans le parti.

Le vrai prolétariat vient de la grande industrie urbaine. Le modèle est l’usine qui a su discipliner le prolétaire. Avec la gestion socialiste, le progrès capitaliste battra son plein d’autant plus que les syndicats, militarisés (par Trotski), ne seront plus un frein à la production. Contre le « Nègre hystérique qui refuse la discipline allemande propre à la fabrique », Lénine tranche : « Quand j’entends dire ici qu’on peut parvenir au socialisme sans se mettre à l’école de la bourgeoisie, je sais que cette psychologie est celle d’un habitant de l’Afrique centrale.»

Le pouvoir des soviets est celui d’une ombre. En juin 1917, il affirme ceci : « Nous ne préconiserons pas le moins du monde le passage humoristique des chemins de fer aux mains des cheminots et des tanneries aux mains des tanneurs. Mais nous affirmons le principe de contrôle ouvrier. » C’est-à-dire le contrôle d’un parti dont les militants ont abdiqué de leur volonté personnelle, et dont le modèle est l’armée Rouge triomphante de la guerre civile, voire la Tchéka. (On y revient.)

« L’exigence du contrôle associée à celles de la surveillance, de l’enregistrement, de la comptabilité, définit le mode de gestion de la vie sociale que Lénine veut développer. Progressivement, la liberté de critique signifie “la liberté de défendre le capitalisme” ».

L’appartenance de classe est à soi seule suffisante pour déterminer si un individu est coupable.

L’état de droit est aboli, ainsi que toute contestation.

« La révolution léniniste qui érige le parti en seul agent légitime de l’histoire réduit le prolétariat et toute la population au statut d’appendice manipulés par des appareils bureaucratiques, terrorisés par des organes policiers, écrasés par la force armée, quand ils cherchent à s’auto-organiser. »

« Si le léninisme est presque insaisissable, c’est moins parce qu’il est subtil et profond que parce qu’il force en permanence à réfléchir à côté, si bien qu’il piège par un style de pensée et d’action qui se joue de lui-même, au prétexte de la dialectique, non pas dans une dérision burlesque, mais dans une perversion tragique. »

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Lénine en 1923

Le hic est que le parti sécrète une violence que personne ne peut maîtriser. Hémiplégique, Lénine devient à son tour hystérique. Au Kremlin, on ne lui obéit plus. Il ne maîtrise plus ses nerfs. Pis, son «merveilleux Géorgien», dont il s’est servi contre « les fripouilles du Bund » (parti socialiste du grand Yiddishland), fait preuve de brutalité (grubost’) à l’égard de sa femme, Nadejda Kroupskaïa. Staline est son nouveau Plékhanov. La boucle est bouclée.

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Lénine et Staline

Dominique Colas et Jacques Baynac ont écrit les livres susnommés avant la chute du mur de Berlin. Et arrivent à des conclusions fort similaires.

Attention les neurones vont de nouveau s'agiter... (dixit mam'zelle Pirate)

Colas : « La victoire du léninisme est la défaite des idéaux de la Révolution française et de la Commune de Paris : plus de droits, ni pour l’homme, ni pour le citoyen, ni pour le travailleur, et pas même pour les adhérents du parti, mais seulement pour le parti en tant qu’institution monopolisant la politique. »

Baynac : « Lénine n’est pas marxiste. Il n’a pas, comme on l’a souvent affirmé, russifié le marxisme. Ce qu’il a russifié, c’est le modèle lassallien, c’est le modèle social-démocrate allemand, c’est la conception idéologique réformiste. »

Arrêtée après le putsch manqué de juillet 1918 contre la dictature bolchevique, Maria finira folle pour de bon en hôpital psychiatrique. Enfin presque… En septembre 1941, devant l’avancée nazie, les détenus de la prison d’Orel sont évacués. Elle non, qui est exécutée sur place.

 

Vous vivez une époque post-moderne et je n’aimerais pas être à votre place.

Bonus musical  

* Vers extrait de la chanson de Charles Aznavour “Camarade”. Écoutez bien les paroles aux rimes en « ade »…


Ah oui ! Un autre ver troublant :

« J’ai appris qu’ils t’ont donné une ambassade

Quelque part à Caracas ou à Belgrade »

C’est vrai qu’entre les rouge-brun serbes et la mafia chaviste chère à nos « Insoumis » bolivariens valets de la dictature cubaine, ça interpelle au niveau du heureusement pas vécu.

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