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Avec accusé de déception
17 juillet 2017

En Amapá, on n’est plus chez soi ! (Seconde partie en Counani)

« Raconter, c’est résister »,

 Guimarães Rosa,

écrivain brésilien

 (1908-1967)

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source ici

Ce n’est pas pour faire mon malin, mais les hommes politiques français et brésiliens, en tête Lula (récemment condamné à neuf ans et demi de prison pour corruption) et Sarkozy (pas encore embastillé), n’ont pas été à la hauteur de tonton Georges : « Il suffit de passer le pont, c’est tout de suite l’aventure… »

En effet, si je retournais avec Eugène en Counani, je n’essaierais pas d’emprunter ce fameux pont qui enjambe l’Oyapock, reliant le Brésil à l’Union européenne. Un pont de 378 mètres à 50 millions d’euros qui, vingt ans après la décision de sa création par les présidents Jacques Chirac et Fernando Henrique Cardoso, a failli être inauguré par Ségolène Royal en mars dernier…

 Bah  non ! nous irions « chez nous » en pirogue comme tout le petit peuple de l’Oyapock. Eh oui ! « chez nous » ! En Counani, voyons !

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source :

Et nous aurions dorénavant une pensée pour notre camarade communeux et néanmoins géographe Élisée Reclus et le cryptarque Jules Gros, président à vie de la République de Counani.

Aujourd’hui un pont kafkaïen, hier un président ubuesque…

Nicolas Sarkozy, ce sera le Fouquet’s. Jules Gros, c’est le Véfour. Membre de la Société de géographie, chroniqueur au « Petit Journal », conseiller municipal de Vanves, ce « colosse aux jambes courtes et à la voix de grenouille », pour reprendre le description de Jean Galmot, futur député de Guyane, y fait lors d’un dîner la connaissance de Paul Quartier, ancien horloger suisse, membre de l’expédition d’Henri Coudreau de 1883, et du Bourguignon Jean-Ferréol Guigues. Gros ne sait pas encore que ces deux-là se sont acoquinés avec un duo de « capitaines » : Trajane Supriano, un ancien esclave, et Nunato de Maceda, hostile à la présence brésilienne en Counani.

Mais quèsaco, le Counani ?

Commettrais-je une erreur majeure si j’écrivais que le Counani correspond à l’actuel État d’Amapá ?

carte copie

Après la révolte de la Cabanagem (1834-1840), les Français édifient une redoute près du lac Ramudo sans en informer les Brésiliens. Dom Pedro II interpelle son homologue Napoléon III. Les deux empereurs décident de neutraliser cette région disputée par leur pays respectif depuis le siècle précédent.

Petit détail : la France a aboli l’esclavage en 1848, le Brésil attendra encore quarante ans. Du coup, moult esclaves marronnent en Counani ; certains souhaitant la protection des Français.

La région, désormais appelée Contesté franco-brésilien, est représentée par un Brésilien vivant à Belém do Pará et un Français qui réside à Cayenne. Le chef-lieu du Contesté n’est autre que l’actuel Oiapoque.

En 1883, l’explorateur-géographe Henri Coudreau « découvre » la terre de Counani lors d’une mission officielle : climat sain, peu de moustiques, plaines fertiles propices à l’élevage.

Ce no man’s land où vit une modeste population « trimétissée » ne saurait demeuré inexploité, par surcroît à quelques encablures de l’embouchure du plus grand fleuve du monde.

Une belle idée que reprennent Guigues et Quartier ! Les « capitaines » susnommés signent, en juillet 1886, un manifeste d’indépendance. Supriano et Guigues se rendent à Cayenne pour officialiser la proclamation. Devant l’hostilité de la France, les compères songent à Jules Gros, don quichotte de banlieue, mais influent publiciste.

À grands coups de clairon, la République de Cunani est proclamée le 23 juillet de la même année. À Vanves, Jules Gros reçoit un télégramme :

"vous serez président à vie de notre jeune République."

Guigues s’autoproclame président du conseil, Quartier, ministre des travaux publics… On dessine drapeau, on bat monnaie. « Gros Ier », lui, administre sa République depuis les cafés de Montmartre, de la rue Drouot. Le siège de la légation counanienne se trouve au 18, rue du Louvre. Grâce à lui, sa république imaginaire devient célèbre dans l’Europe entière.

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Drapeau Inévitablement apparaissent les premières dissensions. Les trois compères counaniens virent escrocs : vendre de faux titres nobiliaires et des actions sur les mines d’or (encore) fictives, ça peut rapporter gros. Gros, justement, révoque Guigues ! Puis il approche des hommes d’affaires anglais regroupés dans la Guiana Syndicate Ltd. Gros va enfin fouler le sol de « sa » république. Avec femme et enfants, il quitte Vanves… Les Gros embarquent à Southampton à bord du « Medway ». Londres se renseigne auprès de Paris, qui n’a jamais adoubé ce président d’opérette. Le « Medway » est bloqué en Guyane britannique. Notre famille Fenouillard est refoulée vers la Tamise. Jules Gros ne verra jamais son Counani.

Mais le don quichotte vanvéen est opiniâtre, qui entend lever une armée de mercenaires pour libérer le Counani. Sans solde en vue, les apaches des barrières qu’il a recrutés se paient sur la bête et le lynchent. Il meurt le 30 juillet 1891. Selon ses dernières volontés, il est enveloppé dans les plis du drapeau counanien. Jean Galmot écrira : « Il en mourut, le bon don quichotte, honnêtement, n’ayant jamais battu monnaie de son rêve. Il joua son rôle jusqu’au bout et son agonie fut héroïque. »

Jules Gros fait un émule. En mai 1902, Adolphe Brezet s’autoproclame « président de l’État libre de Counani ».

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Adolphe Brezet

Il est arrêté par les Brésiliens, inquiété par la France où le désormais duc de Brezet, vicomte de São João, vit en exil. L’année suivante, une ambassade counanienne ouvre à Paris, Londres, Rome, Berlin, Madrid. Le pot-aux-roses est découvert quand le Japon en guerre contre la Russie demande à Counani de le fournir en vaisseaux !

Brezet meurt ruiné en 1911, à Londres.

Entre-temps, le Contesté a été réglé…

En 1897, les Républiques françaises et brésiliennes ont confié à la Confédération helvétique la mission de localiser le cours du Japoc-Vicente Pinçon marquant virtuellement la frontière entre Français et Portugais lors du traité d’Utrecht de 1713.

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Henri Coudreau et Elisée Reclus

 

Henri Coudreau et Élisée Reclus sont sollicités en qualité de géographes. Bien que « Français », ils attestent que les peuples du Counani reconnaissent le Brésil comme leur nation. Coudreau, par dépit, et Reclus, par internationalisme anarchiste, se désolidarisent du projet colonial français. Le géographe communeux abhorre les « bornes, symboles d’accaparement et de haine ! ». « Nous avons hâte de pouvoir enfin embrasser tous les hommes et nous dire leurs frères. »

L’arbitrage est rendu par la Suisse le 1er décembre 1900 :

le Japoc-Vincent Pinçon est l’Oyapock, qui servira de frontière entre les deux pays.

Donc, le pont de l’Oyapock a été inauguré le 18 mars dernier mais sans Ségolène Royal. A-t-elle eu peur des « 500 Frères » ou de serrer la main du gouverneur de l’Amapá, Antônio Waldez Góes da Silva, dont la gestion des affaires publiques est aussi transparente que les eaux limoneuses du fleuve-frontière ?

Guyane: ouverture du pont de l'Oyapock, et après? - outre-mer 1ère

La plus grande frontière française se traverse désormais par la route. Le pont de l'Oyapock, qui relie les deux rives du fleuve Oyapock, entre la Guyane et le Brésil a été inauguré ce samedi, plus de six ans après sa construction, et... vingt ans après le lancement du projet.

http://la1ere.francetvinfo.fr

Jacques Chirac avait prophétisé : « Le pont n’amènera pas un immigré clandestin de plus, mais il permettra une relation économique plus importante. Cayenne est un cul-de-sac… »

En fait, sur le terrain, il y a toujours disproportion et carences infrastructurelles.

Saint-Georges : 4 000 habitants, à 200 km de Cayenne. Oiapoque : 25 000 âmes, à 600 km de Macapá, à laquelle ce gros bourg peuplé d’orpailleurs est relié par une route dont l’asphaltage est inachevé – la part du gouverneur sans doute…

OyapockCarte2

source : ici.

Concrètement, les Brésiliens ont toujours besoin d’un visa pour entrer en Guyane, tandis que les Guyanais peuvent circuler librement au Brésil avec un passeport et en signalant leur présence. En revanche, les habitants de Saint-Georges et d’Oiapoque bénéficient d’un laisser-passer valable trois jours renouvelables.

Pour l’anthropologue Damien Davy, ce pont « semble déconnecté des réalités locales. Les Oyapockois n’en ont jamais eu besoin. Par contre, c’est vrai qu’il a attiré les regards vers cette frontière méconnue. Les gens vivent ensemble depuis des siècles. Ils parlent portugais, palikur, créole, français. Le “vivre-ensemble” est là. »

Un vivre-ensemble tout de même mis à mal par le chômage, l’insécurité, les gangs de chercheurs d’or, le mercure qui empoisonne les fils des fleuves…

En 1894, Élisée Reclus écrivait : « De toutes les possessions d’outre-mer que la France s’attribue, nulle ne prospère moins que sa part des Guyanes : on ne peut en raconter l’histoire sans humiliation. L’exemple de la Guyane est celui qu’on choisit d’ordinaire pour démontrer l’incapacité des Français en fait de colonisation. »

Kourou_EP_sep1985 (0)

 

Source :

En septembre 1985, en visite à Kourou, François Mitterrand sembla lui répondre :

« Comment pouvons-nous continuer à lancer des fusées sur fond de bidonvilles ? »

Vous vivez une époque post-moderne et je n’aimerais pas être à votre place.

Bonus : 

• « Pou d’agouti »

Le Pou d'Agouti,le journal qui démange: 13 ans de démangeaisons écologiques

3000 exemplaires, 500 abonnés, le journal de l'ouest qui démange a su faire frémir les puissants de Guyane, et donné l'alerte lorsque la nature guyanaise était mis en danger. Retour sur un média qui pourrait faire école, 23 ans après sa création (Lire la suite...)

http://www.une-saison-en-guyane.com

 

  • À lire de Blaise Cendrars, poète-karatéka et traducteur brasilianiste, familier des modernistes de São Paulo :

lorRhum

« L’Or », paru chez Grasset en 1925, son premier roman.

« Rhum : l’aventure de Jean Galmot », paru chez le même éditeur mais cinq ans plus tard.

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Commentaires
J
En tant que philatéliste mondialiste, je connais très bien cette Enclave utopique et Géniale de Counani. Sincèrement cette histoire est digne d'un film a grand spectacle avec un super Scénario. Orpailleurs, Bagnards, Esclaves, l'Amazonie, les autochtones, les incertitudes de frontières et dépendances c'est le cadre. Le Portugal, le Brésil, la France, un peu la Couronne Britannique, c'est la Politique. Un Président journaliste, des financiers érigés en Bric et de Broc, des Politiciens véreux mais sympa, c'est l'anarchie déguisée. Une monnaie, des timbres, une cartographie pourrie etc etc c'est le trompe couillon.
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