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Avec accusé de déception
11 juillet 2017

En Amapá, on est “plus” chez soi ! (Première partie ou presque)

« Raconter, c’est résister »,

 Guimarães Rosa,

écrivain brésilien

 (1908-1967)

Ce n’est pas pour faire mon malin, mais le premier grand voyage hors d’Europe que j’ai effectué fut, avec mon ami d’enfance Eugène, à destination d’un département d’outre-mer qui, récemment, fit parler de lui : « l’île de Guyane ».

Emmanuel Macron marchait à peine.

« L’île de Guyane » !

Je n’ai pas fait partie de ces espiègles qui ont ri quand « notre » nouveau président a (grand étourdi, va !) parlé de ce département frontalier du Brésil… et du Surinam, comme d’une île.

Déjà, à l’époque, le DOM n’était guère accueillant. Comparable sur le plan juridique à la Creuse, voire la Corse, il exigeait de mon ami Eugène et de votre serviteur que nous eussions un billet de retour pour la métropole. Point d’immigration « gauloise » en terre… de France.

Depuis, d’autres non-Français ont « profité » de la porosité des frontières pour fuir la misère et la violence de leurs pays glorieusement indépendants. Des Surinamaises viennent en pirogue accoucher à Saint-Laurent-du-Maroni pour que leurs enfants naissent européens, les meritrizes brésiliennes égayent les nuits de Cayenne tandis que leurs compatriotes orpailleurs « mercurisent » les rivières intoxiquant les quelque 9000 (voire seulement 6000 !) Amérindiens oubliés de « notre » République.

Laquelle ne reconnaît pas juridiquement le droit coutumier des « tribus » dites premières. Dites premières… car tous les Amérindiens de Guyane ne sont pas autochtones. Teko (ou Émerillon, 3000 âmes) ou Wayãpi, du groupe linguistique tupi-guarani, viennent du Brésil.

Kali’na (3000 personnes) et Wayana (1000 seulement) sont de la famille des Caribe, qui a donné les terribles cannibales…

[Pour en savoir plus sur ces derniers, menacés de mercurisation intégrale, écoutez en pot de cast sur France Inter « Voyage en terre d’outre-mer, des sentinelles écologiques », par Anne Pastor, une émission du dimanche 9 juillet à 14 heures.]

 

Les sentinelles écologiques

Grâce à leur territoire, la France possède l'une des plus grandes zones maritimes au monde et un trésor de biodiversité. Aujourd'hui, ces peuples sont aux avant-postes du réchauffement climatique et de la pollution. Ils sont les premières victimes. Ils plaident pour une révolution. C'est la voix des peuples autochtones.

https://www.franceinter.fr

Quant aux Palikur (550) et Lokono (200 à 400), ils appartiennent aux « paisibles » Arawak chers à Christophe Colomb et à Jacques Chirac.

La Guyane îlienne ressemble désormais à Mayotte, La Réunion, Melilla, Lampelusa ou Lesbos…

eugene et fortune_001

A côté d'Eugène, Fortune, Guyanais de son état, est un des premiers Français à avoir pratiqué la capoiera à Paris

Depuis les temps immémoriaux où nous nous sommes rendus, Eugène et moi, la population est passée de 73 000 habitants à plus de 250 000 ! À l’aube du XXIe siècle, elle accueille (si l’on peut dire) 52% de « migrants », entendez par là principalement des Haïtiens, Brésiliens, Surinamais, Hmongs – depuis Giscard d’Estaing, les Hmongs ayant aidé la France à grands coups d’opium à lutter contre le Nord-Vietnam –, mais aussi des compatriotes antillais et « métro ».

Quand Eugène et moi prîmes une pirogue pour nous rendre de Saint-Georges-de-l’Oyapock à Oiapoque, de Guyane en Amapá, de la France au Brésil (avec lequel l’Hexagone partage sa grande frontière terrestre), nous eûmes affaire à des Amérindiens maîtrisant plusieurs idiomes. « Nous ne sommes ni Brésiliens ni Français, mais Palikur. » Cousins des Arawak des Antilles.

Autant l’équateur patriote nous parut glacial, autant celui de l’Amapá nous fut cordial. Même si nous fûmes reçus par des policiers fédéraux redoutant d’avoir affaire à des déserteurs de la Légion étrangère.

Nous rejoignîmes alors, Eugène et moi, via un avion militaire, Macapá, capitale de cet État créé en 1948 seulement.

Entre-temps, un brave Ch’ti qui avait emporté pour voyager au Brésil un dictionnaire d’espagnol et gratifiait les Oiapoquenses d’un incongru « obergado » (au lieu d’obrigado) nous déconseilla l’usage de la crème solaire… « Ici, aucun risque, les rayons, ça crame pas ». Nous avions tort d’assimiler l’Amazonie à Tourcoing. Apprentis routards, nous acquiesçâmes avant de rejoindre à pied l’aérodrome militaire d’un pas aussi volontaire que l’aviateur Adrien Dufourquet, alias Jean-Paul Belmondo, « l’Homme de Rio ». Au bout de quelques kilomètres, carbonisés, nous nous aperçûmes que nous n’étions pas sur un tournage et dûmes notre salut à un brave caboclo, qui nous offrit eau et bananes naines.

Par ailleurs, comme à la fin du légendaire film de De Broca, la forêt déjà succombait sous les coups des tractopelles. Nous nous sentions malheureusement en paysage familier (vu que les aventures de mademoiselle Françoise Dorléac et Bébel, scénarisées par Ariane Mnouchkine notamment, étaient diffusées toutes les veilles de Noël ou de réveillon sur la première chaîne).

saut per_001

Dans la roda, votre serviteur barbu en apesanteur, à droite Fortune, l'un des hommes les plus cool et les plus énigmatiques que nous ayons rencontrés

Saut de puce, arrivés à Belém do Pará, alors capitale d’une Amazonie brésilienne bien embouchée par un fleuve-océan prodigue en pororocas (cherchez sur Internet…), Eugène et moi fûmes témoins d’un dialogue dans une lanchonete, un snack local et néanmoins nord-américanisé…

L’employé brésilien, quelque peu galvanisé par un nationalisme entretenu par une dictature militaire vieillissante, eut cette réflexion envers des Guyanaises, noires comme par hasard : « Mes pauvres, vous êtes colonisées, vous n’êtes pas libres comme nous !

– Oui, mais nous sommes venues en avion. Vous pouvez vous le payer, vous, l’avion ? »

(La suite guyanaise au prochain épisode d’autant qu’Eugène et moi travaillons désormais non loin de Vanves, ville du président de Counani, République indépendante de Guyane… Madame Taubira en rêvait, d’autres, avant elle, l’ont imaginée possible…)

Vous vivez, jusqu’au prochain épisode, une époque post-moderne et je n’aimerais pas être à votre place.

Bonus :

 

  • musical : 

P.S. – Le Guyanais Henri Salvador aurait eu 100 ans ce 18 juillet. Immodeste et égoïste, il se vantait d’avoir été le père indirect de la bossa-nova. Ayant écouté « Dans mon île », Tom Jobim aurait claqué sur son blanc piano les premiers accords de bossa. Permettez-nous de vous proposer la version brésilienne interprétée par l’immense Caetano Veloso au « Grand Rex » en mai 2014…

Que d’allers-retours !

livre indiens de guyane

À lire : Indiens de Guyane, Wayana et Wayampi de la forêt”, de Jean-Marcel Hurault, Françoise Grenand et , Pierre Grenand, éditions Autrement, 1998.

Préface d’un certain Claude Lévi-Strauss : « Cet album a, par les images, une telle puissance évocatrice, il apporte par les textes des informations si riches qu'il mérite de prendre rang dans la littérature comme un petit “trésor” de l'ethnologie guyanais. »

 

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