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Avec accusé de déception
15 mai 2017

Entre Bach et black, la vie rêvée de Roland Dyens

« Raconter, c’est résister »,

 Guimarães Rosa,

écrivain brésilien

 (1908-1967)

 

Ce n’est pas pour faire mon malin, mais je ne suis pas (encore ?) allé voir le film « Django » d’Étienne Comar. Pourtant j’apprécie Reda Kateb, qui doit camper un monsieur Reinhardt impeccable.

Par surcroît, il y a la délicieuse Cécile de France, belge comme Django. Devant la presse, elle eut d’ailleurs ces phrases assez désarçonnantes : « Il y a quelque chose de très français, de très profond aussi dans le traitement du personnage, sur l’insouciance de cet artiste qui vit dans sa bulle et qui ne se rend pas compte de ce qui se passe, des persécutions que subissent ses frères gitans [500 000 Tsiganes assassinés par les nazis, soit proportionnellement plus que les juifs d’Europe !]. La musique, c’est comme une drogue pour lui et le film montre sa prise de conscience progressive. À la fin il ouvre les yeux. Django veut dire “je m’éveille” en langue romani. »

Quintette-1941©Roger-Parry

Affiche-film-Django

En haut : De g. à dr. : Hubert Rostaing, Pierre Fouad, Django, Emmanuel Soudieux, Eugène Vées (© Roger Parry). En bas : affiche du film de 2017

 J’ai la faiblesse de taquiner la six-cordes. Aussi pour moi, Django est-il une légende. Laquelle est comme l’astre solaire et la Camarde maximés par La Rochefoucauld :

« Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement. »

 Une autre raison pour laquelle j’ai déserté les salles obscures, c’est qu’une autre légende de la guitare nous a quittés en octobre dernier. Le décès de ce génie de la guitare aussi bien classique que brésilienne, jazzistique qu’espagnole et sud-américaine, est quasiment passé inaperçu. Seul grand média à lui avoir rendu hommage : France Musique (clic clic).

Or, Roland Dyens, puisqu’il s’agit de lui, était un fan de Django. Et d’autres génies comme Bach, Villa-Lobos, Baden Powell de Aquino, Sor, Rodrigo, Piazzolla…

« La djangologie, je l’ai “bouffée” en entier, je crois, même quand il jouait du banjo. Mon guitariste de chevet, c’est lui, je suis jazz dans la tête et classique dans les doigts, parce que la musique classique est ma maison. C’est ma rigueur en fait. Et j’aime la rigueur tout comme j’aime la fantaisie. »

Roland Dyens par par Dean Kamei

 Pour beaucoup, le nom de Roland Dyens n’évoque rien sans doute.

Né en Tunisie en 1955 dans une famille d’artistes (père peintre, un oncle Grand Prix de Rome de sculpture 1966, un frère designer vraiment trop tôt décédé), Roland Dyens a eu la chance d’évoluer dans un milieu favorable aux vocations hétérodoxes.

Venu en France à l’âge de 6 ans, il a, fin des années 1950, un premier flash avec la jeune auteure, compositeure, interprète Marie-José Neuville, surnommée « la Collégienne de la chanson » (pour moi, inconnue au bataillon, et vous ?). Une petite chanson ? cliquez sur sa photo ci-dessous

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Deuxième coup de foudre, Henri Crolla, « Manouche » italien, roi de la guitare faubourienne, accompagnateur de Montand et Salvador. (C’est Riton le Rital qui offrira sa première gratte à Jacques Higelin.)

henri colla

À 9 ans, « Monsieur Maison », du haut de son béret, Gitane papier maïs au bec, vient enseigner à Roland l’art de la guitare à domicile et en Mobylette par-dessus le marché.

Entre autres professeurs géniaux surgit Alberto Ponce, de l’École normale de musique de Paris. Roland n’a que 14 ans. Trop jeune, il est tout de même accepté. Un peu dilettante, il est renvoyé puis repris car trop doué : il obtient sa licence de concert, ce qui n’est pas rien. Et qui ne l’empêche pas d’improviser sur du Villa-Lobos. Porte ouverte à la composition, à l’adaptation, notamment des « Bachianas brasileiras », d’orchestre symphonique à la guitare solo !

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 “Bachianas Brasileiras No. 5, Aria”, arrangement de Roland Dyens.

 Roland Dyens aura, dans le microcosme, un moment de gloire en transposant certains joyaux de la chanson française à la six-cordes, souvent open-tunée, en accord ouvert. Il démontrera – pour quelques mal-embouchés retardés – que Georges Brassens était un vrai et magnifique mélodiste.

Technicien hors pair, Roland avoue qu’aucune œuvre non écrite pour la guitare ne lui résiste quand il s’agit de l’adapter. « Pour Chopin, je n’ai pas cherché à imiter le piano, mais bien à le “guitariser”, c’est-à-dire à le tirer vers Augustín Barrios. […] C’est l’esprit d’une œuvre qui m’intéresse, pas la lettre. » Pour lui, la six-cordes est un instrument labyrinthique : « Le simple fait de désaccorder une ou plusieurs cordes te met face à toute la richesse que la guitare peut t’offrir. J’ai appris la guitare, mais à ce stade de ma vie, c’est elle qui m’apprend. »

Ses arrangements de Piazzolla – son dernier chantier – dérouteront positivement le virtuose Thibault Cauvin : « Il a mis trois ou quatre ans à tout écrire. Lorsqu’il m’a donné les pièces, il y avait 120 pages entièrement manuscrites...

... J’ai passé une journée pour ne déchiffrer qu’une seule page. »

Thibault_CAUVIN

Thibault Cauvin (source : ici)

Pédagogue hors pair également, Roland Dyens hait l’approximation : « Une note à la fois. J’essaie d’être un prof vivant, pas un laborantin. Sauf quand c’est obligatoire, je ne conseille pas à mes élèves du Conservatoire de choisir du Bach. Parce qu’il y a presque toujours dans le jury quelqu’un qui ne va pas être d’accord avec l’approche. Quant aux virtuoses de la guitare mondialisée, ils ne s’écoutent pas assez. C’est justement leurs éventuelles failles qui m’intéressent. »

Et des failles, il pensait en avoir : « Quand je suis dans le processus de créativité, j’imagine tout le temps les autres compositeurs chez qui ce serait infiniment plus simple, plus fluide… »

Et attendant, il admettait composer autour de jeux de mots (« Les ré glissent et portent manteaux… »). Lors des concerts, en portant ses grosses lunettes avec essuie-glace, Roland observe aussi que l’humour décontracte le public et stimule les musiciens.

« A vida é breve. Il faut rigoler… »

« Aune des années 1970… Je m’escrime à apprendre cette pièce rebelle de Weiss, une gigue synonyme à l’époque de ticket d’entrée à l’École normale de musique de Paris. Dans le même temps, j’encaisse le très sévère uppercut que fut la révélation pour moi de la musique populaire brésilienne (MPB). Je n’ai pas 14 ans et c’est clairement là mon premier détournement de mineur, via Baden-Powell. Tout cela commence à faire beaucoup, d’autant que par votre faute, monsieur de Aquino, j’éprouve cet inconfortable sentiment de devoir impérativement choisir entre Bach et black. Inconfortable et complètement stupide surtout. Voilà donc mes événements de mai… 69. »

« Notre rencontre remonte à la fin des années 1970, à Rio de Janeiro, à l’occasion du Concours Villa-Lobos, racontent les frères guitaristes Sérgio et Odair Assad. Roland nous a impressionnés par sa manière de jouer la musique brésilienne… comme un Brésilien ! »

Dans le magazine « Guitare classique » (qui nous a plus qu’inspirés), mestre Rolando confesse ceci : « Quand je suis allé pour la première fois au Brésil, à 20 ans, j’étais chez moi, corps et âme. J’étais tellement “barré Brésil” que je trouvais même que les chiens là-bas syncopaient quand ils aboyaient. »

 

Guitare Classique 75

Guitare Classique 75 : Au sommaire : Arkaitz Chambonnet, Salomao Habib, Maximo Diego Pujol, Thibault Cauvin, José Ferrer y Esteve et un hommage à Roland Dyens ... et 42 pages de partitions/tablatures avec CD audio et vidéo. (La revue "Guitare Classiqu

http://www.partitionspourguitare.com

 

Mas a vida é breve, camará…

« Une de mes fiertés est de n’avoir jamais gagné un centime autrement que grâce à la musique. Je donnais des cours, j’ai fait la manche dans les cafés, joué dans le métro, écumé les maisons de retraite d’Asnières-sous-Bois. »

Une vie rêvée mais trop courte.

À l’instar d’autres génies de la guitare, morts prématurément :

Django Reinhardt, à 43 ans, Agustín Barrios Mangoré, 59 ans, Fernando Sor, 61 ans, Paco de Lúcia (orthographe à la portugaise car sa mère était lusitanienne et non andalouse…) 66, Baden Powell de Aquino : 63, Narciso Yepes 69, Alexandre Lagoya, 70, sans parler de Jimmy H. : 27 ans…

Toi, 61, comme Sor, qui faisait partie de ta famille musicale, tout comme Baden. Lequel n’était pas un type commode, mais je suis sûr qu’avec lui, tu as trouvé le bon accord…

Saravá !

 

Vous vivez une époque post-moderne et je n’aimerais pas être à votre place.

 Bonus :

 

Tango en Skaï

Ça fait deux minutes trente-neuf de bonheur…

 

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Commentaires
L
Bonjour Bruno B. Quel bel article, synthèse de beaucoup d'autres et si beau à lire. Merci, Laura Dyens-Taar, la soeur de Roland. Bruno qui ? PS: notre petit frère parti trop tôt lui aussi, s'appelait Bruno, Bruno D.<br /> <br /> Je suis sur Facebook.
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