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Avec accusé de déception
19 avril 2017

1947, 1917, 1897, compte à rebours malgache

 

« Raconter, c’est résister »,

 Guimarães Rosa,

écrivain brésilien

 (1908-1967)

Ce n’est pas pour faire mon malin, mais, habitant Cachan, du plus loin qu’il me revienne, je suis toujours allé à l’école avec des Malgaches. Il faut dire que dans ma ville, il est un foyer universitaire malgache depuis 1962, inauguré par le premier chef de l’État de la République indépendante de Madagascar, Philibert Tsiranana.

carte de Madagascar

Source : www.carte-du-monde.net

Source : http://fum.arago.free.fr/spip.php?rubrique6

source : ici

Or, on peut vivre au contact d’une communauté sans rien connaître de son histoire.

La première fois que j’ai entendu parler de Ranavalona, c’était à Salvador, Bahia, Brésil. Le groupe Olodum consacrait alors un samba-reggae à la dernière reine de Madagascar.

ranavalona-manjaka-faha-iii

Reine Ranavalona III

Source : University of Southern California Libraries

 

 

1947, 1917, 1897… Comme un compte à rebours.

1947 – En janvier, le Mouvement démocratique de la rénovation malgache (MDRM), tenant de « l’indépendance dans l’Union française », fait élire trois députés à l’Assemblée nationale : les docteurs Joseph Ravoahangy et Joseph Raseta, Jacques Rabemananjara (futur Grand Prix de la francophonie pour l’ensemble de son œuvre décerné par l’Académie français en 1988).

L’ancien résistant devenu vice-président du Conseil, le MRP Paul-Henri Teitgen s’irrite : « S’il y avait eu dans la métropole une formation fasciste, on en demanderait la dissolution. N’en fera-t-on pas de même dans les territoires d’outre-mer ? »

Comme à Sétif, les nationalistes sont vus comme des agents du néohitlérisme.

Le bon Vincent Auriol confiera au pasteur La Gravière, du MRP, venu l’entretenir de la torture sur la île Rouge : « J’ai connu Ravoahangy et Raseta, je me suis tout de suite empoigné avec eux dès le premier jour, et la faiblesse de Coppet [gouverneur socialiste], c’est de leur avoir donné des voitures avec des cocardes tricolores, ce qui laissait apparaître qu’ils étaient les rois et les successeurs de la reine Ranavalo. »

Le contexte est un peu spécial cette année-là : les communistes, encore au gouvernement, refusent de voter les crédits pour la guerre d’Indochine. Le Maroc s’agite, la Guerre froide se réchauffe, des centaines de tirailleurs malgaches rentrent au pays après avoir libéré « l’amère patrie »…

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Stèle de la commération du 29 mars 1947 à Moramanga

Par Robin Taylor de Bamako, Mali — Flickr, CC BY 2.0

Le 29 mars éclate à Madagascar une immense insurrection qui est encore mal connue mais qui n’a pas été désirée par le MDRM. Alertées par leurs services de renseignements, les forces armées, bien que peu nombreuses, contrôlent assez vite le terrain, notamment grâce aux tirailleurs dits sénégalais. Néanmoins, s’il y a bien des morts du côté des Français, ce sont les Malgaches qui sont les principales victimes. En 1949, l’état-major français avance le chiffre de 89 000 morts. Est-ce plus ou moins ?

Petite nouveauté, on s’essaie à la guerre psychologique, on n’hésite pas à précipiter vivants des prisonniers depuis des avions. Méthode qui sera enseignée aux militaires argentins par les « nôtres » dès la décennie suivante.

En 1948, leur immunité parlementaire ayant été levée, Ravoahangy et Raseta sont condamnés à mort, Rabemananjara, aux travaux forcés. Ils ne seront graciés qu’en 1956 !

Terrorisés, affamés, décharnés, les derniers « rebelles » malgaches quittent la forêt en 1958…

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La reine a séjourné au "Grand-Hôtel" à Arcachon en 1901

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La reine a fait une promenade sur le bassin d'Arcachon à bord du bateau "L'Oasis"

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1er février 1899 : la reine Ranavalona III quitte La Réunion, à bord du « Yang-Tsé ». Elle fera une escale à Marseille avant sa destination finale : l’Algérie. Illustration extraite de : "Le Petit Parisien".

1917 – Après un exil à La Réunion, un séjour presque doré à Arcachon, Ranavalona III meurt à Alger. Bien que dernière reine de l’île Rouge, elle a été privée de ce titre par le général Gallieni, gouverneur de l’île (qui n’a pas que donner son nom à des rues ou des carrefours). Elle n’est plus que reine des Houva (prononcez Houve), un des peuples de Madagascar.

1897 – Dans la nuit du 28 février, la reine et ses proches sont arrêtés par un « commando » de Gallieni. Suivie par 700 fidèles, la jeune Ranavalona Manjaka III (26 ans seulement) descend vers le littoral.

La suite, vous la connaissez. 

Madagascar est de nos jours un des pays les plus mal en point du globe. Il y a certainement des raisons endogènes à cela (le royaume de Ravanalona n’était pas un paradis, le travail forcé existait avant les Français). Il y en a aussi d’exogènes…

Entre 1883 et 1885, les Français ont mené une guerre de conquête contre Madagascar qui s’est soldée par « notre » défaite. Qu’à cela ne tienne, le royaume doit emprunter auprès du Comptoir national d’escompte de Paris 10 millions de francs, histoire d’indemniser la France. Pis, un traité impose à l’île Rouge de vastes concessions.

Une seconde guerre éclate : cette fois, les Français entrent dans Antanarivo en novembre 1895. La « pacification » commence. Elle fera entre 100 000 et 700 000 morts. Les hommes de Gallieni récompensent les chefferies locales qui les ont aidés. On réquisitionne la main-d’œuvre, les paysans doivent se salarier dans les concessions pour s’acquitter de l’impôt, le travail forcé s’envole tandis que les cultures vivrières font place aux produits d’exportation. Les Malgaches paient pour leur colonisation !

En 1901, les gentilles têtes blondes d’une école d’Arcachon adresse ce poème à une exilée à « la grâce onduleuse » : 

Salut, Ranavalo ! Salut gentille Reine !
Le soleil d’Arcachon, comme à Madagascar,
Fait briller sur tes traits ta Majesté sereine
Semant de diamants ta robe de brocart.

Va ! Ne regrette rien. Sois à jamais Française !
Adopte les couleurs de notre cher drapeau.
Aime notre pays, car tout chagrin s’apaise ;
Le sceptre pour la femme est un bien lourd fardeau. 

 

Cher à Rudyard Kipling, le fameux fardeau de l’homme blanc n’était décidément pas si lourd que ça !

Vous vivez une époque post-moderne et je n’aimerais pas être à votre place.

 

 

PS : et puisque tout finit en chanson, savourez l’excellentissime Solo Razafindrakoto, le Django de Mada !

 



 

Pour en lire plus : « Contribution à l’histoire de la nation malgache », de Pierre Boiteau, Éditions le Temps des cerises.

« L’Insurrection malgache de 1947 », de Jacques Tronchon,  Karthala, 1986.

« Massacres coloniaux, 1944-1950 : la IVe République et la mise au pas des colonies françaises », d’Yves Benot, La Découverte/Poche, 2001.

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Commentaires
T
Ranavalona ! ♡
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