Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Avec accusé de déception
31 mars 2017

Dans les vapeurs de Fukushima

« Raconter, c’est résister »,

 Guimarães Rosa,

écrivain brésilien

 (1908-1967)

 Fleurs de cerisier de Mamzelle PirateCe n’est pas pour faire mon malin, mais lors d’une séance de dédicace de mon best-seller communeux, j’ai fait la connaissance de Thomas B. Reverdy. Lequel signait notamment pour son roman « les Évaporés ». Nous étions au temps de cerises et assis l’un à côté de l’autre. Thomas est un homme charmant, brillant, bienveillant. Élégant. Je le questionnais sur le titre de son roman. Les évaporés ? Quèsaco ? Avant de séjourner à Kyoto sur l’invitation des institutions culturelles françaises, Thomas ignorait lui aussi cette terrible réalité japonaise…

 

Il y a quelques jours, les grands médias sont revenus sur la commémoration de la catastrophe de Fukushima, qu’abordent « les Évaporés ». Car dans ce subtil roman quasi policier, il est question d’économie, de social, d’amour, d’humain, d’honneur. De ce lumpenprolétariat nippon qui survit dans des zones contaminées, armée de l’ombre d’une société où les yakuza ne sont jamais très loin. J’ai pensé à cette phrase d’un journaliste en poste au pays du Soleil-Levant : « Le Japon, c’est une armée de samouraïs commandée par des généraux minables et corrompus. »

 

« Ce que nous appelons ici johatsu remonte à l’époque Edo [XVIIe siècle]. Les criminels ou les gens qui avaient une dette d’honneur allaient se purifier aux sources du mont Fuji. Il y a là des sources chaudes et des établissements de bains, ce sont de villes d’hôtels. Ils prenaient une auberge, ils entraient dans les bains de vapeur et ils disparaissaient, c’est pour cela qu’on les appelle les évaporés… »

 

Habitant San Francisco, la belle Yukiko apprend que son père a disparu. Elle demande alors à son compagnon américain, Richard B., détective à l’ancienne, de l’aider à le retrouver…

 

Chaque année, ce sont des milliers de Japonais qui s’évaporent, disparaissant des radars. Beaucoup sont endettés, or les maisons de crédit appartiennent souvent aux yakuza : « Quand les gens ne peuvent plus rembourser, ils exercent des pressions, ils menacent. Ce ne sont pas des banquiers, les gars. Ils débarquent chez vous avec des barres de fer ou ils vous kidnappent et vous gardent quinze jours pour vous faire peur. »

De l’argent, il en faut aussi pour disparaître, entre 300 000 et 500 000 yens, pour payer une manière de passeur. Et atterrir dans un meublé minable de la périphérie : « À part l’électricité et l’eau courante, qui ont fini par arriver à la fin des années 1960, c’est, en gros, le confort et le mode de vie d’avant-guerre. Pourtant, [les évaporés] ne sont pas malheureux. Ce sont des gens que la vie moderne avait endettés jusqu’au désespoir, des gens dont le symbole de la vie moderne, la centrale nucléaire et ses promesses de débauche d’énergie, avait rendu la terre inhabitable, des gens auxquels les conditions de la vie moderne, ses emplois non qualifiés de plus en plus précaires aux salaires si bas qu’ils étaient obligés d’en cumuler deux, parfois trois, ne permettaient pas de s’en sortir. Alors, perdre en confort pour vivre enfin, et dignement, ce n’était pas si cher payé. Pour ceux qui avaient des enfants, c’était plus compliqué, parce qu’ils ne pouvaient plus les scolariser. Les enfants d’évaporés n’ont aucune existence légale. »

 

Le 11 mars 2011, des milliers de riverains de la centrale ont tout perdu. « Ils n’avaient pas d’assurance contre le tsunami ou les tremblements de terre, parce qu’elles sont bien trop chères. Ils ont reçu l’aide du gouvernement, le forfait des victimes, deux millions de yens, et ils viennent de comprendre qu’il se passera sans doute des années avant de pouvoir réévaluer la somme, ridicule au regard de ce qu’ils ont perdu et qui, de tout façon, ne vaut plus rien. Qui va acheter une maison sinistrée dans une zone radioactive ? »Par surcroît, « l’armée de samouraïs… », on peut la licencier…

Le narrateur fait parler un des « Fukushima 50 » : « Je crois que c’était très gênant pour tout le monde ces conneries de volontaires prêts à se sacrifier. On était juste les seuls à pouvoir faire le boulot. […] Les “50”, ce fut surtout le symbole du sous-prolétariat du nucléaire. Quelle industrie aujourd’hui peut encore faire mourir ses salariés comme si c’était des esclaves ? » […] J’ai pris trop de radiations, pas assez pour avoir des symptômes aigus, mais suffisamment pour ne plus bosser dans le nucléaire pendant les deux cent cinquante prochaines années. […] J’ai été licencié quelques jours plus tard, avec assez d’indemnités pour m’obliger à signer une clause de confidentialité.

 

Yukiko retrouvera-t-elle son père avec l’aide de Richard B ?

Vous le saurez en lisant « les Évaporés » de Thomas B. Reverdy, disponibles notamment chez J’ai lu pour la modique somme de 7,20€.

livre les évaporés

 

Thomas B. Reverdy

Vous trouverez ici des éléments de biographie, la référence des romans parus ainsi que des autres publications, et divers articles, photos ou références en relation avec mes romans ou la vie littéraire. Il est prévu aussi d'ajouter quelques inédits dans l'avenir. Bonne lecture. Thomas B. Reverdy

http://www.thomasreverdy.com

« … jusqu’au XIXe siècle, au Japon comme ailleurs, chaque province avait son heure, calculée sur le zénith du soleil. Cela n’a posé problème qu’avec le chemin de fer, à cause de la vitesse, parce que les gens qui partaient de Tokyo à midi arrivaient à Osaka un quart d’heure plus tôt.

En somme, c’est la vitesse qui nous a fait perdre le sens du temps. »

 

Vous vivez une époque post-moderne et je n’aimerais pas être à votre place.

 

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Avec accusé de déception
Publicité
Archives
Newsletter
Avec accusé de déception
Publicité