Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Avec accusé de déception
14 mars 2017

De Corse à Beg-ar-Fry, par le bout du nez

 

 

« Raconter, c’est résister »,

 Guimarães Rosa,

écrivain brésilien

 (1908-1967)

 

 

À la mémoire de Michel Guinault, dans la bibliothèque duquel j’ai trouvé “la Résistance en Bretagne”

 

057866-002-A_1944066

 

Ce n’est pas pour faire mon malin, mais Économe, le couteau éplucheur, est une marque déposée et écumoire, féminin. J’y pense à chaque fois que j’essaie de décrypter l’information.

Épluchons, filtrons.

Sur Arte, vous pouvez encore voir « Mafia et République » , réalisé par Christophe Bouquet, sur un scénario de Vanessa Ratignier, Christophe Nick et… Pierre Péan. Un triptyque des plus instructifs malgré quelques raccourcis historiques.

 

ARTE+7 | Mafia et République (1/3)

L'histoire complexe et occultée de la mafia corse, qui a prospéré à partir de la fin des années 1920 avec la complicité de l'État français. En trois volets, cette série documentaire ausculte les liens scélérats qui ont uni mafieux corses et politiques de tous bords sur trois générations.

http://www.arte.tv

 

La mafia corse et la République française, vaste programme ! comme aurait dit l’employeur de Charles Pasqua au SAC. De Gaulle, pas Étienne Leandri…

Dans ces formidables documentaires, nous croisons le « communiste », futur « national-socialiste », Simon Sabiani, homme politique tout-puissant qui, pour contrôler Marseille, s’appuya sur le clientélisme et Paul Carbone, au physique plus ingrat que celui de Delon dans « Borsalino ». Y sont évoqués Saigon la corse, la morphine base raffinée à Bandol, les réseaux de femmes esclaves réduites à la prostitution au Caire ou dans le port franc de Tanger.

Tentaculaire, la diaspora corse constituait alors l’épine dorsale de l’administration coloniale française. Un vrai modèle pour Cosa Nostra, qui fera de Cuba sa Marseille.

Étienne Leandri se rappelle à notre bon souvenir. Gigolo, trafiquant de drogue, gestapiste à ses heures, il finit par se réfugier en Italie, où ce futur mentor de Pasqua côtoie Lucky Luciano avant d’être repêché par la CIA.

Eh oui ! avant la Guerre froide, il y eut la Guerre tout court.

Paul Carbone verse dans la Collaboration. Tino Rossi chante « Ave Maria » à ses obsèques en 1943 parmi les miliciens et les ecclésiastiques maréchalistes…

 

Leandri fricote avec la Carlingue, la Gestapo française, tout en protégeant certains juifs, dont Georges Cravenne. On ne sait jamais…

Les frères Guerini, Antoine et Barthelémy, rejoignent le réseau de résistance Brutus, dirigé par l’avocat socialiste Gaston Defferre, par ailleurs à tu et à toi avec Jean Moulin.

Quant à Marcel Francisci, surnommé, dans les années 1960, « Mister Heroin » aux Etats-Unis, c’est un gaulliste de la première heure… Député RPR, prodigue en emplois de croupiers dans le cercle Wagram, il s’éteindra en 1982. Ses obsèques seront dignes d’une scène du « Parrain ».

Entre-temps, il y eut la French Connection (20 tonnes d’héro livrées chaque année aux States, pour 1,5 milliard d’euros actuels), l’Opération X en Indochine, la guerre des cercles de jeux (blanchisseries à ciel couvert d’argent sale), le Congo prosoviétique mais néanmoins pétrolifère, le Gabon (troisième département corse), les casses et les assassinats perpétrés par le SAC, dont la branche marseillaise fut un temps dirigée par Charles Pasqua (encore lui !).

N’oublions pas l’affaire Marković, Alain Delon (encore lui !) et un Pompidou blessé que sa « Bichette » soit traînée dans la boue par des proches de… Pasqua (encore lui !).

Richard Nixon somme alors la France de combattre la française connexion entre le parti gaulliste, les services de renseignement et le syndicat du crime corse. Pompidou procède au nettoyage sans forcément savoir que la future victime washingtonienne du Watergate profite de la guerre contre la drogue pour désigner à l’Amérique WASP l’ennemi déjà post-communiste : les Black ! Mais cela est une autre histoire…

Par son affable secrétaire particulier aux cheveux poivre et sel, Étienne Leandri nous est présenté dans « Mafia et République » comme un homme au regard doux qui n’a pas besoin de prouver sa puissance. Le jeune quinqua n’a-t-il pas vu un des directeurs d’une grande banque française implorer son patron à genoux ? De Niro, sors de ce corps !

Leandri, un des personnages de l’ombre les plus influents de la Ve République, qui a représenté les intérêts de Thomson-CSF, ELF, GMF, Dumez et Lyonnaise et Générale des Eaux, s’éteint en 1995, quelques mois avant François Mitterrand.

Épluchons, filtrons…

On peut lire sur la Toile que Leandri, dit le Petit Monsieur
(1,83 m), avait ses entrées à l’Élysée.

Épluchons, filtrons…

Florentin, Mitterrand demeurera sulfureux pour longtemps…

Parlez-en à Pierre Péan, co-auteur dudit triptyque, dont « Une jeunesse française » fut le plus grand succès. (Tonton fit beaucoup pour l’édition hexagonale.)

Puis-je être un brin polémique ?

Depuis peu, je me méfie de certaines personnes de Sablé-sur-Sarthe, terre d’emplois fictifs et de cette hypocrisie provinciale qui faisait la joie de Claude Chabrol. Péan y vit le jour en mars 1938. Brillant journaliste d’investigation, mon confrère m’a parfois déçu, voire pire…

Notamment quand il écrivit « Noires Fureurs, blancs menteurs », sur le Rwanda. Un brûlot complotiste reprenant la thèse d’un double génocide à l’origine duquel serait le FPR tutsi !

« Une jeunesse française » fut donc le plus gros best-seller de Pierre Péan, qui se défendit d’avoir été parfois mal compris par les médias. Enfin, il avait quand même révélé que le futur premier président socialiste de la Ve avait été décoré de la francisque par le Maréchal… Le scoop de la mort !

« Quelle est la signification de Beg-ar-Fry, monsieur Mercier ?

– Eh bien ! en breton, ça veut dire “le bout du nez”. »

Celui qui pose la question n’est autre que le colonel Rémy, une des recrues les plus fameuses du BCRA, les services de renseignement de la France libre.

Louis Mercier était un résistant finistérien. Dans « la Résistance en Bretagne » (éditions Famot, Genève [en pays neutre ?] 1974), Gilbert Renault, alias Raymond, Jean-Luc, Rémy… écrit qu’en janvier 1944, Louis s’apprête à accueillir à la pointe de Beg-ar-Fry un jeune Français venu d’Angleterre qu’il doit convoyer jusqu’à la gare de Morlaix. L’interview date de 1969 : « Vous ne savez pas qui c’était ? Oh ! je n’ai appris ça que par la suite… Eh bien ! c’était François Mitterrand, qui vient de faire tellement parler de lui à propos de cette révolution qu’on a bien cru avoir au mois de mai dernier. » En Mai 68 !

« À ce qu’on m’a dit, il était allé en Angleterre en passant par l’Espagne, et il revenait en France pour je ne sais trop quelle mission. Mais, pour nous, c’était seulement “Jacques”. […] Là-dessus, il me raconte qu’il avait été à Vichy et que le maréchal Pétain lui avait remis la francisque… » Le plus naturellement du monde…

Ah ! l’écume médiatique !

« Beg-ar-Fry », par le bout du nez…

 

Il vous reste vingt-cinq jours pour voir ou revoir « Mafia et République ».

 

Vous vivez une époque post-moderne et je n’aimerais pas être à votre place.

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Avec accusé de déception
Publicité
Archives
Newsletter
Avec accusé de déception
Publicité